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Rencontre avec Jacques Perry-Salkow, maître de l’anagramme et du palindrome

Les lecteurs du Projet Voltaire le savent bien : la langue française est, plus que toute autre, propice aux jeux de mots. Deux d’entre eux nous séduisent particulièrement : l’anagramme, qui mélange les lettres, et le palindrome, qui inverse le sens de la lecture. Pour nous en parler, qui mieux que Jacques Perry-Salkow, musicien et poète, renverseur de mots sans nul autre pareil, auteur de savoureux ouvrages sur le sujet ? Prenez garde, vous n’êtes pas à l’abri du virus !

 

Jacques Perry-Salkow

Bonjour, Jacques Perry-Salkow. Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs ce quest une anagramme ? En avez-vous une définition plus « personnelle » ?

Bonjour à vous et aux lecteurs du blog Projet Voltaire ! Le mot « anagramme » vient du grec anagramma, « renversement de lettres ». Le jeu consiste à mélanger les lettres d’un mot, d’une expression, en vue de former un nouveau mot, une nouvelle expression. Il n’est tenu compte ni des accents ni de la ponctuation. Ainsi une valseslave, le caviar et l’avarice, la dolce vita dans la villa d’à côté… Il y a là quelque tour de passe-passe du diable ; je fais entrer Dita von Teese dans une malle, et c’est une sainte dévote qui en sort. Quelque tour ou quelque métamorphose.

L’anagramme ? Une image qui se transforme par magie.

 

Comment devient-on un professionnel de lanagramme ? Est-ce un métier ? un art ? un sport ? Quelles qualités faut-il avoir ?

Ni un métier, ni un art, ni un sport, mais les trois à la fois !

Quelles qualités ? La réponse se trouve dans un poème satirique de la première moitié du XVIIe siècle. L’anagramme était alors très en vogue dans les cours d’Europe. Entre gens lettrés et courtois, il était de bon ton de trouver dans un nom propre une flatterie ou une satire. Cet engouement dura jusqu’à ce que le poète Guillaume Colletet écrive :

« Sur le Parnasse nous tenons

Que tous ces renverseurs de noms

Ont la cervelle renversée. »

Sourire.

 

Quelles sont les créations dont vous êtes le plus fier ? Et pour quelles raisons ?

L’anagramme se noue dans le cadre serré d’une série donnée de lettres et d’une exigence de signification. Elle n’est pas un hasard mais une variation porteuse de sens. L’éclat d’une anagramme dépend donc du dialogue qu’elle entretient avec la chose, le personnage envisagé. Ainsi…

André Le Nôtre*

La terre donne

* Jardinier de Louis XIV. Il eut notamment pour tâche de concevoir l’aménagement du parc et des jardins de Versailles.

 

On fera bien, aussi, de veiller à la fluidité du style. Comme dit si bien Verlaine, de la musique avant toute chose.

Aurore Dupin, baronne Dudevant, alias George Sand,

valsera d’abord au son du piano d’un génie étranger.

 

Dans le choix de mes anagrammes, j’en ai une toute spéciale, dont je tire une grande fierté et où la dédicataire se reconnaîtra…

Dame en escarpins*

* anagramme de Sandrine Campese

 

Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs qui aimeraient se « lancer » ? Par quoi commencer ?

J’ai commencé par l’état civil de mes amis. L’anagramme de leurs noms, joliment calligraphiée, me semblait un cadeau moins périssable que les fleurs. Je suggère aux lecteurs de faire de même : dites-le avec des anagrammes !

Quels conseils ? Ne cherchez pas, contentez-vous d’observer. Laissez-vous rêver, et vous vous apercevrez de ce qui crève les yeux. L’anagramme est un rêve qui prend forme.

L’utilisation de lettres de Scrabble™ est conviviale. Faites-en l’expérience.

 

Vous êtes aussi un spécialiste du palindrome. Pouvez-vous nous rappeler en quoi cela consiste et nous donner quelques exemples ?

Un palindrome est un mot, une phrase, qui peut se lire indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche. Son centre s’apparente à un miroir où le texte s’enfonce, inversé, spéculaire, spectaculaire.

Rue Verlaine, génial rêveur 

Et ici à l’âme s’oppose ma laïcité. 

Elle ramassa pas à pas sa marelle. 

Sage drapé slave du tutu de valse par Degas

 

Anagramme, palindrome… en quoi est-ce intéressant, plaisant, utile, de jouer ainsi avec les mots ? Quel est le but recherché ?

Intéressant, plaisant, parce que lié à la révélation d’un secret enfoui. Nous n’inventons rien vraiment. Nous découvrons et dévoilons. « Tout fut donné, comme disent les mystiques. Nous n’avons qu’à ouvrir les yeux et le cœur pour ne plus faire qu’un avec ce qui est. »

Il en va de même des anagrammes : elles sont déjà là, il faut les aider à naître. Michel-Ange prétendait que la Pietà existait avant sa création, en attente de devenir. Elle était tapie, contenue dans le bloc de marbre, et l’artiste n’avait plus qu’à éplucher le roc autour de l’œuvre.

Le Penseur de Rodin

Perdu en son délire

 

Le palindrome, quant à lui, pense tout seul. C’est là son intérêt. Tout se passe comme si le texte se générait lui-même, notre rôle se bornant, au croisement de plusieurs routes, à choisir celle que nous suivrons.

Intéressant, plaisant et complètement inutile. La beauté déteste l’idée d’utilité. Elle se suffit à elle-même. Cette beauté dont je parle, celle des mots, est farouche et redoute la mauvaise compagnie. Je n’ai d’autre but que de tenter de l’apprivoiser.

Sévère, dissuasive, je vis aussi de rêves.

 

 

Anagrammes extraites de :

Anagrammes renversantes, avec Étienne Klein, Flammarion, 2011.

Anagrammes à la folie, avec Sylvain Tesson, Équateurs, 2013.

Anagrammes pour lire dans les pensées, avec Raphaël Enthoven, Actes Sud, 2016.

Anagrammes à quatre mains, avec Karol Beffa, Actes Sud, 2018.

 

Palindromes extraits de :

Le Vivarium de palindromes, Jacques Perry-Salkow, Fayard, 2017.

 

 

Propos recueillis par Sandrine Campese

Photo © Natacha Giraldo

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