« Ton père, il est » : Yoda, grand maître de l’anastrophe

Alors que les fans de Star Wars venaient de découvrir, avec euphorie, la bande-annonce de l’épisode VII, Le Réveil de la Force, attendu pour le mois de décembre, nous apprenions le décès de Jean Lescot, voix française d’un personnage emblématique de la saga interstellaire : maître Yoda. Ce chevalier Jedi, petit par la taille mais grand par la force, a la particularité d’être vert et d’avoir les oreilles pointues. Mais ce n’est pas tout, Yoda a marqué nos esprits en raison de son phrasé si particulier, qui cache une figure de style. Laquelle ?

Tout le monde le sait, Yoda parle « à l’envers » afin d’attirer l’attention sur un élément en particulier, placé, généralement, en début de phrase. Ainsi, quand il dit à Luke Skywalker « Ton père, il est », à propos de Dark Vador, il veut clairement insister sur le nom « père », car il sait que cette filiation est lourde de sens pour le jeune Jedi.

Ce procédé, qui consiste à inverser l’ordre habituel des mots d’une phrase a un nom : l’anastrophe. Tout au long des épisodes de Star Wars, le personnage de Yoda s’exprime presque exclusivement au moyen d’anastrophes. Jugez plutôt :

« Le côté obscur de la Force, redouter tu dois. »

« T’aider, je puis. »

« Personne par la guerre ne devient grand. »

« Toujours en mouvement est l’avenir. »

« Luke, quand je ne serai plus, le dernier des Jedi tu seras… »

« Robuste je suis grâce à la Force, mais pas à ce point-là. »

« À vos intuitions vous fier, il faut. »

« Beaucoup encore il te reste à apprendre. »

« Perverti par le côté obscur le jeune Skywalker s’est trouvé. »

« Si tellement puissant vous êtes, pourquoi vous enfuir ? »

Ainsi (re)tournées, les paroles de Yoda (« celui qui sait ») gagnent en solennité et en sagesse pour devenir de véritables préceptes.

Le procédé n’est certes pas nouveau. Déjà, en 1670, Molière s’en amusait dans Le Bourgeois gentilhomme en tournant dans tous les sens une déclaration désormais célèbre : « D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. »

Au cinéma, l’anastrophe ne se réduit pas aux répliques de maître Yoda, elle fleurit dans les titres de films comme De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard (2005), Mon âme par toi guérie de François Dupeyron (2013), mais aussi dans les classiques La Belle au bois dormant et Autant en emporte le vent !

D’autres, vous en avez ?

Sandrine Campese

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À l’occasion d’une question posée sur le site question-orthographe.fr, j’ai redécouvert plusieurs aspects troublants de cette construction :

1. Les exemples littéraires (poésie, théâtre, prose) sont effectivement légion, tant dans la langue française ancienne (naturelle) que plus moderne (avec un effet de style recherché).
2. Certaines expressions courantes en conservent la trace : sans coup férir, sans mot dire, sans bourse délier, (savoir) raison garder, pour ce faire, à vrai dire…
3. Ces inversions peuvent poser d’insolubles problèmes d’accord du participe passé. Différentes théories bien argumentées s’affrontent en effet sur l’application ou non de la règle bien connue avec le C.O.D. antéposé. Lorsque ce C.O.D. n’est pas repris par un pronom, l’accord ne devrait pas se faire, malgré les apparences. L’exemple décortiqué sur un excellent site de langue portait sur une phrase du chanteur Matt Marvane : « Tes bras tu as ouvert. » mais on aurait pu écrire « Tes bras tu LES as ouvertS.
C’est subtil, mais cela repose de manière inédite l’intérêt de l’accord du participe passé avec « avoir » : il ne se fonde que sur la position du C.O.D. dans la phrase, fantaisie linguistiquement injustifiable et qui explique pourquoi cette maudite règle n’a jamais vraiment pris dans la langue française…

Bonjour Sandrine,

Je vais me répéter mais merci (une fois de plus) pour vos billets toujours très instructifs et pertinents.

J’aurais une question qui n’a pas de rapport avec le thème de l’anastrophe.

Pourquoi appose -on (j’espère que l’emploi du verbe apposer est correct ici) une majuscule au mot « la Force » dans le titre d’œuvre : Le Réveil de la Force ?

Eu égard à votre billet, très bien expliqué par ailleurs, portant sur l’utilisation des majuscules dans les titres d’œuvre, j’aurais écrit : « Le Réveil de la force ». A moins qu’il n’ existe une nuance que je ne maîtrise pas ?

Ah la langue française, si fascinante, si difficile. Il est véritablement passionnant de tenter d’en dompter les principales difficultés.

En vous remerciant d’avance.

Xavier.

    Bonjour Xavier, pertinentes, vos questions le sont toujours ! 😉 Si dans le titre Le Réveil de la Force, « force » prend une majuscule, c’est parce que c’est une sorte de Dieu ! On croit à la Force, elle nous donne le pouvoir de faire le bien. À l’inverse, le côté obscur n’est pas sans rappeler Satan. Pour des raisons similaires, la Matrice du film Matrix, mère nourricière de l’humanité (bien qu’illusoire), s’écrit avec une majuscule. Enfin, dans le titre Harry Potter et les reliques de la Mort, « mort » prend une majuscule car ces reliques sont des objets que la Mort en personne aurait offerts à trois frères sorciers. Belle journée cher Xavier et à bientôt !

Bonsoir, Sandrine, quelle serait l’anastrophe dans « La Belle au bois dormant ». C’est le bois qui est tout aussi dormant que la belle, donc, je ne vois pas le retournement à la Yoda ici…

    Bonsoir Valeria, si le titre n’était pas une anaphore, il serait écrit comme suit : « La Belle dormant au bois ». C’est en effet la Belle qui dort, comme l’indiquent, d’ailleurs, les traductions du titre en langues étrangères : Sleeping beauty (anglais), La Bella durmiente (espagnol), etc. Bonne soirée.

      Bonsoir, Sandrine, merci!

      Je comprends très bien ce que vous dites, mais dans les titres dont vous parlez, il n’est pas question du bois, mais seulement de la Belle. Or, en français, le bois est présent, et ceux qui avons lu le conte savons que tout s’endort autour de la Belle; le bois, lui aussi, dort, même si la végétation continue à pousser. « La Belle au bois dormant »=La Belle qui se trouve dans le bois qui dort. Je comprends « dormant » pas comme participe présent mais plutôt comme adjectif verbal qualifiant « bois », soit « La Belle au bois endormi ». Enfin, ça a du moins toujours été mon interprétation!

      Merci encore!