Les bizarreries orthographiques : délices ou supplices ?

Elles comptent parmi les raisons qui rendent l’apprentissage et la maîtrise de l’orthographe française particulièrement difficiles. Il y a vingt-cinq ans, certaines d’entre elles ont fait l’objet de rectifications qui pénètrent peu à peu nos dictionnaires au titre de « variantes », mais qui peinent à s’imposer dans nos écrits. Pour les uns, ce ne sont que des pièges vicieux et dénués de logique ; pour les autres, elles font le sel de notre langue. Voici quelques exemples de bizarreries ou anomalies orthographiques qui, bien souvent, nous donnent du fil à retordre !

  • La trahison familiale

Le nom chariot vient du latin carrus et s’est écrit charrioz en ancien français. Tous les mots de sa famille comme « charrier », « charrette », « charrue », « carriole » et « carrosse » ont deux « r », sauf lui ! Cette anomalie orthographique a été rectifiée en 1990 ; il est désormais possible d’écrire « charriot ».

  • La finale rebelle

Le nom relais ne s’est pas toujours écrit avec un « s ». Il s’écrivait relai au XIIIe siècle, en référence au verbe « relaisser ». En 1976, déjà, l’Académie française recommandait de revenir à l’ancienne graphie, par analogie avec « délai » ou « balai ». L’usage ne l’a pas suivi.

  • Les voyelles muettes

Asseoir et oignon, l’un verbe, l’autre nom, ont un point commun. Ils comportent tous les deux une voyelle muette : « e » pour asseoir, « i » pour oignon. La première est un héritage de la racine latine sedere, la seconde servait à « mouiller » le son [gn], afin de le distinguer de celui qu’on entend, par exemple, dans « gnou ».

  • La survie du trait d’union

Lorsqu’un nom composé est si courant qu’on ne distingue plus les mots qui le composent, il est d’usage de remplacer le trait d’union par une soudure. Si portefeuille a réussi son univerbation, porte-monnaie fait de la résistance. Autres exemples : « portemanteau » mais « porte-parapluie ».

  • Les doubles consonnes

Boursoufler et persifler ont la particularité de ne pas aligner leur orthographe sur les verbes qui les ont formés. « Souffler » et « siffler » ont beau s’écrire avec deux « f », leurs dérivés n’en prennent qu’un. Mais ce ne sont pas les seuls : combatif (combattre), bonhomie (bonhomme), prud’homal (prud’homme), imbécillité (imbécile), etc.

  • Les morphologies mouvantes : le cas du « n »

Un « n » peut en cacher un autre : pension donne pensionnaire ; occasion, occasionnel ; confession, « confessionnal ». Il peut aussi se suffire à lui-même : national fait « nationaliste » et tradition, « traditionaliste ». Enfin, rationnel et résonner perdent un « n » dans « rationaliste » et « résonance ». Quant à « millionnaire », il se distingue de « millionième » !

  • La danse des majuscules

On écrit : « la basilique Saint-Pierre » mais « le supplice de saint Sébastien », « les Cent-Jours » mais « le vingtième siècle », « la Toussaint » mais « le jour de l’An », « la cour de Louis XIV » mais « la Cour des comptes », « une république bananière » mais « la République française », « les archives notariales » mais « les Archives nationales », « Charles de Gaulle » mais « l’appel de De Gaulle », etc.

  • Les doubles graphies

Bistrot et bistro, clé et clef, cuillère et cuiller, lis et lys, laïc et laïque, loubar et loubard, orang-outan et orang-outang, paie et paye, trucage et truquage, tsar et tzar, yaourt et yogourt… sont les variantes d’un même mot ! Bien souvent, l’une des graphies est notée comme étant « vieillie ». Saurez-vous découvrir laquelle ?

  • Les intrus : l’exemple du « h »

Des lettres ont été ajoutées à certains mots sans justification étymologique. C’est le cas du « h » présent dans les noms « huile », « huit » et « huître », respectivement issus du latin oleum, octo et ostreum. En revanche, le « h » se justifie dans huis, vieux mot désignant la porte et qui a donné « huis clos » et « huissier ». Anciennement, le « u » se notait aussi « v ». L’ajout du « h » permettait donc de ne pas confondre « uis » avec « vis » !

  • Les relatinisations ratées

C’est le cas, notamment, du nom poids. Au XVIe siècle, on lui a ajouté un « d », croyant qu’il dérivait du latin pondus, alors qu’il vient de pensum. Poids devrait donc s’écrire « pois », bien qu’on risquât de le confondre avec le légume vert. Mais ce ne serait pas le premier cas d’homonymie en français !

Sandrine Campese

 

 

 

 

 

                                                                 

Articles liés

Si on compare l usage du français avec celui d autres langues,nous avons l avantage d éviter pas mal de complications de mots composés ou évolutifs! Exemple traduisez le blé en an?lais : ce sera corn ,correct à Londres..mais qui désigne le maïs aux USA…Et en Allemagne les mots se conjuguent avec des accolations plutôt longues.l italien reste compliqué, alors que l espagnol à été  » simplifié au siècle dernier! Ne cachons pas dans la soupe,sinon je vous parlerai des langues chinoises!..

Coucou

il me semble, mais vous allez le confirmer ou l’infirmer que le mot « délice » a l’instar de « amour » et « orgue » est un mot qui est masculin au singulier mais féminin au pluriel.
donc dans la réponse de Jean Paul du 20 mai 2015 à 17 h 07 ne faudrait-il pas écrire :
Merci pour ces délices perverses de notre orthographe!

et merci à vous pour ce site qui rend moins sot

amicalement

    « Coucou » Didier ! Voici ce qu’indique Larousse : « Délice est masculin au singulier (un délice), féminin au pluriel (des délices infinies), sauf après un des, un de, le plus grand des où il reste masculin : un des plus grands délices. Remarque : la langue courante tend à garder le masculin au pluriel dans tous les cas. »
    Conclusion : on ne peut pas dire que l’ami Jean-Paul a commis une réelle « faute » : il n’a pas observé l’usage littéraire.
    Bonne soirée et merci à vous de nous lire 🙂

Je viens de prendre connaissance des 150 nouveaux mots ou expressions officiellement adoptés par l’institution encyclopédique pour entrer dans le dictionnaire Larousse de la langue française et certains dans le Petit Robert. C’est donc « tendue comme un string » que j’attaque les exercices que vous nous proposez, mais je me sens un petit peu moins « bolos » quand j’en viens à bout honorablement!
J’ai scrupule à qualifier, chère Sandrine, mes salutations de « bien littéraires »!

Merci pour ces délices pervers de notre orthographe!

On retrouve le mot « poids » orthographié « pois » en anglais! Le nom du système de mesure (ancien, car ils sont passés au système métrique vers 1970) de nos chers voisins d’outre-Manche est « avoirdupois » – en un seul mot; j’avais mis cette faute sur une évolution causée par une traversée de la Manche. Mais que nenni! Ils sembleraient qu’ils aient rectifié notre erreur!

Bonne orthographe à tous.

Jean Paul

    « Délice pervers », vous y allez fort, Jean-Paul 😉 J’ignorais l’emploi de pois outre-Manche, merci ! Il faut dire que les Anglais ont puisé dans l’ancien français pour former un certain nombre de mots. Je vous invite à lire mon prochain billet, consacré à l’étymologie de « glamour ». Bientôt sur le blog… Bonne soirée !

Merci beaucoup, Chambaron et Sandrine, pour vos réponses motivées. Dès que j’en aurai l’occasion, je me ferai un plaisir de décortiquer l’article du lien de Chambaron en long en large et en travers.

Merci encore à vous deux. Vous lire est toujours un plaisir.

une fois de plus, merci Sandrine pour ce billet des plus instructif.

J’ai une question à vous poser quant à ces anomalies orthographiques que les rédacteurs de dictées ne manquent d’ailleurs pas d’utiliser pour nous tendre des chausse-trapes bien vicieuses.

Comment expliquer les anomalies portant sur la présence ou non d’un accent circonflexe au sein des mots appartenant à une même famille ?

Exemples :

Grâce/gracieux
Infâme/infamant
Fantôme/fantomatique

S’agit-il de considérations étymologiques ou bien doit-on faire appel, une fois de plus, à la phonétique pour nous sortir de ce guêpier ?

En vous remerciant d’avance.

    Merci cher Xavier. Pour répondre à votre question (très pointue !), je penche pour la piste phonétique. Le recours ou non à l’accent circonflexe permettrait de marquer des différences de prononciation entre la racine et ses dérivés. Dans vos exemples, la prononciation du « a » est longue dans « grâce » et « infâme » et courte dans « gracieux » et « infamant ». Idem pour « fantôme » qui est censé se prononcer en ouvrant très légèrement la bouche, de manière à former un petit « o », alors que celle-ci s’élargit sous l’effet de « fantomatique ». Cela étant, ce n’est pas toujours le cas : l’accent circonflexe sur le « a » de « câlin » est d’usage dans tous ses dérivés : câliner, câline, câlinerie… Bon après-midi !

    La réponse à de telles interrogations arrive souvent par des chemins détournés.

    Je n’ai pas de solution personnelle, mais je vous renvoie avec un plaisir immense à l’article consacré par Jean-Pierre Lacroux au thème de l’accentuation. À défaut d’y trouver stricte chaussure à votre question, vous pourrez y lire ce que l’esprit humain a de plus subtil à répliquer aux tenants d’orthodoxies surannées.

    Je pratique, mais hais, les concours d’orthographe, dont la finalité ne me semble être que de cautionner telle ou telle maison d’édition. Et comme souvent, pour citer Cyrano, j’aime à mettre « comme il me plaît, mon feutre de travers », mon circonflexe à l’envers et ma signature en un pauvre vers.

    Bien littérairement,
    Chambaron

    http://www.orthotypographie.fr/volume-I/academie-accentuation.html#Accentuation

Ah, que voilà un sujet passionnément épineux !

La liste des arguments sera longue, tant du côté des thuriféraires que des contempteurs de ces difficultés et illogismes de notre langue.

Aux premiers je répondrais volontiers que ce ne sont pas ces anomalies qui font la beauté de la langue, mais l’art qu’ont ceux qui la manient bien, à l’écrit et à l’oral, d’en faire un outil d’intelligence et de création.

Aux seconds, je conseille l’apprentissage de l’espéranto, qui a prouvé à quel point la rationalité à outrance dans l e domaine linguistique n’était qu’un leurre.

À l’honnête homme contemporain, je prêche de cultiver avec constance et modération la richesse de notre vocabulaire, la variété des nuances, les souplesses de la syntaxe, le plaisir de l’étymologie et les charmes subtils de la typographie.

Épineuse question donc, mais à laquelle on n’ajoute rien en lui enlevant ses dards : après tout, à quoi cela servirait-il vraiment de trancher ?