Clef ou clé, nénuphar ou nénufar, au temps pour moi ou autant pour moi… Quelles graphies préférez-vous ?

Pendant presque un an, sur la page Facebook du Projet Voltaire, nous avons régulièrement demandé à nos fans de choisir entre les deux variantes orthographiques d’un même mot. Qui de clef ou de clé, de nénuphar ou de nénufar, de portemonnaie ou de portemonnaie a remporté l’adhésion des amoureux de la langue française ? Voici les enseignements que nous pouvons tirer de ces mini-sondages qui, en moyenne, ont réuni un millier de réponses à chaque fois.

1- En général, vous plébiscitez la graphie la plus difficile…

L’attachement de notre communauté aux chausse-trapes (ou chausse-trappes !) de la langue de Voltaire est une nouvelle fois manifeste.

Ainsi, le choix entre « lys » et « lis » s’est transformé en un véritable plébiscite pour la voyelle « y » ! En recueillant 99 % des votes, lys a battu tous les records. Le pauvre lis fait bien pâle figure à côté… 

Les mots contenant des lettres muettes sont largement préférés aux formes plus simples. C’est le cas, par exemple, du verbe hululer, lequel, avec son « h », s’impose avec 77 % des suffrages, contre seulement 23 % pour ululer. Dans le même ordre d’idées, bistrot (73 %) gagne contre bistro (27 %), et clef contre clé, mais avec une plus courte avance : 53 % contre 47 %.

Enfin, vous êtes 94 % à ne pas vouloir écrire porte-monnaie en un seul mot, alors que c’est le cas de portefeuille !

2- … même si elle n’est pas conforme à l’origine ou à la prononciation

Dans cette catégorie entrent les très controversés « nénuphar / nénufar » et « oignon / ognon », variantes emblématiques nées des rectifications orthographiques de 1990. Sans surprise, la graphie traditionnelle nénuphar s’impose haut la main avec 91 % des suffrages, la nouvelle orthographe nénufar (étymologiquement correcte, car issue du persan nilufar) n’obtenant que 9 %. L’écart est encore plus important pour oignon qui bat ognon à plate couture, 95 % contre 5 %, alors que le « i » diacritique, désormais inutile, a disparu dans bon nombre de mots tels monta(i)gne ou campa(i)gne.

La graphie soûl, pourtant conforme à la prononciation, ne séduit que 9 % d’entre vous tandis que saoul obtient 91 % des voix. Le shampooing, avec ses deux « o », l’emporte face au shampoing, avec un seul « o » (53 % contre 47 %), alors même que l’on prononce cette seconde syllabe comme « poing », sans faire entendre le son [ou]. Enfin, si vous devez écrire en toutes lettres l’abréviation « etc. », vous optez pour la version latine et caetera (77 %) plutôt que pour la version simplifiée (et conforme à la prononciation) et cetera.

3- Parfois, vous préférez la graphie la plus simple

Pourtant, dans certains cas, la graphie la plus « simple » est préférée. Prenons le nom canette, par exemple, qui désigne la petite boîte métallique contenant une boisson. La version avec un seul « n » l’emporte avec 76 %, la cannette n’obtenant que 24 %. Pourtant, avec un « n », la canette est aussi la petite cane (la femelle du canard). « Mais pourquoi tant de n  ? », semblez-vous dire. Pour désigner la substance provenant des pépins du raisin et qui donne au vin sa matière, vous préférez écrire tanin (90 %) plutôt que tannin (10 %).

On aurait pu penser que le tzar et son « z » élégant vous séduisît davantage que le tsar, avec son simple « s ». Eh bien, c’est tout l’inverse : tsar obtient 87 % des suffrages et tzar 13 % ! Quant à la cacahuète, elle semble meilleure sans « o » pour 84 % d’entre vous, même si vous êtes 16 % à préférer la cacahouète, graphie conforme à la prononciation.

4- Des choix logiques

Que vous préfériez l’orang-outang, bien équilibré avec ses deux « g » (59 %), au bancal orang-outan (41 %) paraît assez « logique ». Vous confirmez que trucage (69 %) est une forme plus courante que truquage (31 %), formé sur le verbe truquer. Vous vous éloignez également du verbe payer en préférant la paie (70 %) à la paye (30 %).

Un ou une après-midi ? Vous êtes 72 % à suivre l’avis de l’Académie française en faisant de ce nom composé un nom masculin, un après-midi, conformément au genre de « midi ». De même, si le nom feignant l’emporte avec 74 % des suffrages (contre 26 % pour faignant), c’est sans doute parce qu’il est le plus proche du verbe feindre et que le participe présent « (en) feignant » s’écrit bien avec un « e ». Pourquoi yaourt ratatine-t-il yog(h)ourt, à 92 % contre 8 % ? La seconde variante est surtout employée en Suisse, en Belgique et au Canada ! Ce résultat montre, au passage, que notre communauté habite principalement l’Hexagone.

5- Des combats serrés

« Au temps pour moi » ou « autant pour moi » ? L’une des questions les plus controversées de la langue française aurait-elle trouvé sa réponse ? Eh bien oui, et ce n’est pas forcément ce à quoi l’on s’attendait. Au terme d’un combat serré, autant pour moi l’emporte avec une très courte avance : 50,2 % contre 49,8 % pour au temps pour moi, dont l’origine, et donc la graphie, ne semble plus comprise. La forme « autant pour moi », qui s’impose dans l’usage, mérite-t-elle de gagner son titre de variante ? Enfin, la locution par contre (38 %), pourtant correcte grammaticalement, peine à concurrencer en revanche (62 %), jugée d’un meilleur style.

6- Un sujet encore épineux

L’un des sondages ayant récolté les plus vives réactions est sans conteste celui portant sur la forme féminine de « auteur ». Auteure l’a emporté avec 61 % des voix, contre 39 % pour autrice, forme pourtant la plus ancienne et la mieux formée (sur le modèle de actrice, créatrice, réalisatrice…). L’autre donnée marquante, c’est que nombre de répondants ont indiqué qu’ils souhaitaient conserver la forme masculine auteur. Or, le sondage portait bien sur le féminin. Pour apaiser les esprits, rappelons que l’Académie française laisse le choix entre ces différentes formes.

À lire :

Vous avez le choix ! Ces mots à deux orthographes 

Vous avez le choix ! Ces mots à deux orthographes (suite) 

Sandrine Campese

 

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Merci pour cet excellent article que j’ai parcouru avec beaucoup de plaisir.
Consacrerez-vous un jour un numéro spécial à ce vaste sujet ? Je serais très intéressée et, j’en suis persuadée, nous serions très nombreux dans ce cas…

Très content de ces résultats !
On n’échappe pas au sempiternel «nénufar» cité en exemple de rectification orthographique nécessaire mais non entrée dans les moeurs -pareil pour «ognon» -mais il faut remarquer que malheureusement même le Robert et le Larousse adoubent une anomalie induite par les rectifications orthographiques de 1990: Neandertal.
J’ai connu les temps pas si lointains quand on écrivait «Neanderthal» -l’étymologie étant l’allemand «thal»-vallée.
La disparition du «h» ne se justifie pas et on ne laisse même plus le choix entre les deux graphies….
Bonne année !

Merci pour toutes ces précisions!
Juste une remarque: il y a deux fois « autant pour moi » orthographié de la même façon dans le titre de votre article.
Et aussi: les pourcentages pour tsar et tzar disent l’inverse de votre phrase d’introduction; ont-ils été inversés? Merci.

    Bonsoir Martine, merci à vous pour votre lecture attentive ! Nous avons corrigé la petite inversion concernant « tsar / tzar » ; en revanche, nous ne voyons pas les deux « autant pour moi » dans le titre. Merci et bonne soirée.

Je suis une amoureuse de la langue française et pourtant, je respecte ceux et celles qui ont, en 1990! essayé de mettre un peu d’ordre dans certains illogismes de notre langue tellement difficile à apprendre correctement et à enseigner aux Français comme aux étrangers. Les rebelles aux modifications se sont-ils penchés sur le pourquoi de cette évolution? Qui peut ne pas accepter « imbécilité » plutôt qu’imbécillité » ou que nénufar ne retrouve son origine?? Oui, bien sûr, il y a des modifications plus difficiles à admettre : un millepatte, une sagefemme donc des sagefemmes mais essayons d’en comprendre le pourquoi. Notre langue reste belle.

Pour « et cetera », c’est bien cette forme-ci qui est conforme au latin; « et caetera » n’était pas l’orthographe utilisée en latin, ou alors très rarement. Ni la prononciation ni l’étymologie ne justifient d’écrire « et caetera ».

Ce billet est très intéressant. Un de plus très intéressant.
Oui, j’aime énormément l’orthographe quand bien même ce fut un peu une torture en mes jeunes années. Et ce blog a nettement fait avancer ma pratique sur des erreurs que je commettais.
Mais cette video de youtube ; https://youtu.be/5YO7Vg1ByA8 m’a un peu mis en face d’une dimension que je négligeais quelque peu.
Continuez et merci
V

    Bonsoir Taline, oui, nous connaissons bien Hoedt et Piron, les trublions de la bien-pensance orthographique ;-). Leur interventions sont très intéressantes et apportent un éclairage nouveau sur le sujet. Nous vous conseillons leur spectacle, qui se joue actuellement à Paris : La Convivialité. Bonne soirée.

Toujours intéressant d’avoir un éclairage sur ces sujets. En fait des analyses plus poussées montrent la volatilité des pratiques lorsque différentes graphies sont tolérées. Chacun peut faire une analyse plus fine avec un outil comme « Ngram Viewer », rare source de statistiques crédibles sur les données écrites, malheureusement arrêté en 2008.
À cette date, toutes les tendances que vous mentionnez dans les points 1 à 4 existaient grosso modo, bien qu’avec des valeurs parfois différentes. Une seule exception pour soûl/saoul : le premier était clairement plus fréquent, comme tout au long du XXe siècle.
Il y a plus de 500 mots (j’ai arrêté de les compiler) à orthographe multiple en français. On peut se demander l’intérêt de maintenir des tolérances dont personne ne comprend la raison et qui créent une insécurité permanente pour ceux qui écrivent lorsqu’on ne sait pas que les deux sont admis. Les lexicographes devraient clairement privilégier une seule forme, cohérente avec l’étymologie et la famille de mots, quitte à tolérer des formes autres pendant un certain temps. Mais l’arbitraire le plus total semble régner, ce qui n’est finalement pas en faveur de l’apprentissage d’une orthographe acceptée par tous…
N.B. La phrase sur le « tsar » est un peu obscure, me semble-t-il.