Voici quatre noms qui – surtout mis côte à côte – évoquent tous l’activité économique. C’est effectivement le sens qu’ils recouvrent, mais pas le seul ! En effet, ils ont un autre point commun : une signification oubliée, élégante, qui a trait aux rapports humains, aux relations charnelles, ou encore aux talents personnels. Vous ne voyez pas de quoi il s’agit ? Lisez vite ce qui suit.

COMMERCE
Si vous ouvrez un dictionnaire pour consulter la définition de « commerce », vous trouverez d’abord son sens « économique », qu’il s’agisse de l’activité consistant à acheter et à vendre des marchandises (le commerce du vin…) ou du lieu où s’exerce cette activité (ouvrir un commerce…).
Mais ce serait bien dommage de s’arrêter là !
Car le nom « commerce » est emprunté au latin commercium, qui certes a le sens de « négoce, lieu où l’on commerce », mais qui signifie également « rapports humains, relations charnelles ». Eh oui !
Rapports humains : Le commerce, au sens littéraire, désigne les relations que l’on entretient dans la société. En ce sens, « commerce » est proche de « fréquentation » ou de « rapport ».
Et ce « commerce » peut se pratiquer de différentes manières : il est question de communication, d’échange de pensées, de sentiments… Si tout cela se passe par écrit, il s’agit d’un « commerce épistolaire ». (Rien à voir avec une boutique vendant du papier à lettres !)
Relations charnelles : « Commerce » s’emploie aussi dans le cas de rapports intimes entre deux partenaires. Ce sens se retrouve également dans l’expression « faire commerce de ses charmes », qui signifie « se prostituer ».
Comment l’employer dans la vie de tous les jours ? Vous entretenez de bons rapports avec vos voisins de palier ? Vous appréciez la fréquentation de vos collègues de travail ? Alors, vous pouvez dire que vos voisins ou vos collègues « sont d’un commerce agréable », « agréable » étant l’épithète la plus fréquente dans ce cas.
Vous les féliciterez ainsi sur leur manière de se comporter avec les autres (polie, prévenante…). Si le compliment leur est destiné, pensez tout de même à préciser ce que vous entendez par « commerce » !
ENTREPRISE
Quand on entend « entreprise », on pense immédiatement à sa signification en économie (organisation de production de biens ou de services à caractère commercial), et l’on oublie que le mot a d’abord eu un sens plus général… et plus littéraire !
Le nom « entreprise » vient du féminin du participe passé « entrepris » et désigne avant tout « ce qu’on se propose d’entreprendre, de faire », ou encore « ce qu’on met à exécution ».
Ainsi, récupérer un chat coincé dans un arbre est une entreprise hasardeuse, difficile, téméraire ; bref, une affaire délicate, une opération compliquée !
« Entreprise » est, en ce sens, proche d’un autre nom littéraire, « dessein » (à ne pas confondre avec son homophone « dessin »), autrement dit : « projet ». Former une entreprise, c’est donc former un projet.
Ce sens se retrouve dans plusieurs expressions : « mener (à bien) une entreprise », « venir à bout d’une entreprise », « échouer dans ses entreprises », ou encore « avoir l’esprit d’entreprise », c’est-à-dire le goût, le sens de l’initiative. Souvent, cette expression se confond avec « l’esprit d’entreprendre », qui suppose de créer son entreprise, de se lancer dans une aventure entrepreneuriale. Or, au sens littéral, « l’esprit d’entreprise » peut consister à entreprendre un voyage, par exemple.
Autre signification littéraire du nom « entreprise », cette fois-ci négative : « action par laquelle on essaie de porter atteinte à quelque chose ou à quelqu’un ». Exemple : une entreprise contre un rival, contre le droit des gens, contre la liberté.
Enfin, à l’instar de « commerce », « entreprise » revêt au pluriel un sens relationnel, intime. Les entreprises sont alors des tentatives de séduction. Exemple : « Comment résister aux entreprises d’un beau parleur ? » (cf. « entreprendre quelqu’un » : tenter de le séduire).
INDUSTRIE
Comme souvent, l’étymologie nous aide à renouer avec le sens originel et profond d’un mot. C’est le cas avec « industrie », qui ne désigne pas seulement une « activité concourant à la production et à la circulation des richesses ».
Le nom est issu du latin industria, qui signifie certes « activité », mais aussi « application, assiduité ».
De cette origine découlent les tout premiers sens d’« industrie » : « habileté employée à faire quelque chose ». Exemple : « Cela est fait avec beaucoup d’industrie, avec une admirable industrie. » Ici, l’industrie est l’équivalent du « savoir-faire ».
Ainsi pourra-t-on saluer « l’industrie des abeilles », c’est-à-dire leur puissance de travail et de création. Souvent, l’industrie est un métier manuel, qui requiert une certaine ingéniosité. C’est grâce à son industrie, soit à son ingéniosité, que l’on peut réussir, parvenir au succès.
Voilà pour l’acception positive, mais « industrie » peut aussi être péjoratif. De cette manière, « vivre d’industrie », c’est subsister par des expédients, c’est-à-dire des moyens provisoires, précaires. Et quand il s’agit d’une activité profitable mais condamnable, on parlera d’une « coupable industrie ». Exemple : « Le voleur qui exerce sa coupable industrie », « coupable »étant l’épithète la plus fréquente dans ce cas.
Si ces différentes nuances du nom « industrie » appartiennent désormais au vocabulaire désuet et littéraire, il ne tient qu’à vous de les réhabiliter !
SOCIÉTÉ
Laissons de côté, au moins quelques instants, le « groupe d’intérêt économique, commercial ou financier » !
Au sens littéraire (et vieilli), la société est « la vie en compagnie, en groupe ». Par le passé, « aimer la société », c’était aimer la compagnie de ses semblables… ou seulement de certains d’entre eux !
Ainsi, on ne disait pas qu’un homme était « coureur », mais qu’il « recherchait la société des femmes », c’est-à-dire leur compagnie. À l’inverse, un timide maladif pouvait « fuir la société des femmes », ou la société tout court, s’il était… insociable.
C’est ce sens qui subsiste dans l’expression « jeu de société » : un jeu distrayant qui se joue en société, c’est-à-dire à plusieurs. Dans le même esprit, on employait auparavant l’expression « faire société à quelqu’un », soit « converser avec lui ». Ce n’est pas un hasard si l’un des chapitres des Caractères de La Bruyère s’intitule « De la société et de la conversation » !
Envie d’employer « société » dans sa belle acception ? Rien de plus simple. Remplacez « compagnie » ou « présence » par « société ». Exemples : « J’apprécie la société des personnes âgées », « je préfère la société des animaux à celle des êtres humains »…
En ce sens, « la bonne société » ne désigne pas la haute société, mais bien « la bonne compagnie ». On dira enfin de quelqu’un qu’il a des « talents de société », ou bien qu’il « est d’une société agréable », comme précédemment avec « d’un commerce agréable ». D’ailleurs, et parce que tous ces mots sont liés entre eux, l’Académie française donne la définition suivante de « société » : « commerce que les hommes ont naturellement les uns avec les autres ».
Sandrine Campese
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