« Céans », « assurément », « souffrez »… Savez-vous parler comme Molière ? (partie I)

En cette année 2022, nous célébrons les 400 ans de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, dit « Molière ». Ce grand dramaturge français a profondément marqué notre histoire et notre culture. Ses pièces, indémodables, indétrônables, sont jouées chaque jour en France et à l’étranger. Mais ce n’est pas tout : son maniement du verbe nous a conduits, au XIXe siècle, à inventer la périphrase « langue de Molière » pour désigner la langue française, tant elle avait contribué au rayonnement de l’esprit français. Mais quels sont les termes vraiment emblématiques de l’œuvre de Molière ? Que signifient-ils exactement ? Et comment les remettre au goût du jour ?

CÉANS

L’adverbe céans signifie « ici », c’est-à-dire à l’intérieur du lieu où l’on se trouve.

Molière le place très souvent dans les répliques de ses personnages. Exemples : « Qui vous a dit que c’était céans ? », « depuis qu’il est entré céans, il est le favori », « L’argent céans est fort cher » (L’Avare).

Le terme subsiste aujourd’hui dans l’expression plaisante « le maître de céans » pour dire « le maître de maison », « le maître de ces lieux ».

Pour le reste, il est noté « vieilli » dans Le Petit Robert. Il ne tient qu’à nous de lui redonner de la vigueur ! Votre colocataire vous demande « Tu viens courir avec moi ? », répondez-lui : « Non, je préfère rester céans. »

Attention à ne pas confondre céans avec l’homophone séant (du verbe seoir), autre mot ancien pour désigner le derrière. D’où : se trouver céans sur son séant !

À noter que l’emploi de céans pour dire « maintenant » ou « à l’instant » n’est pas attesté du temps de Molière, n’en déplaise aux adeptes de l’exercice d’élocution « Veuillez cesser céans ces sottises insensées (ou ces successions acerbes) » !

Enfin, céans va de pair avec un autre mot bien moins connu, qui ne figure d’ailleurs pas dans le dictionnaire : léans ! Si « céans » s’emploie quand on est dans le lieu, « léans » s’emploie quand on est à l’extérieur du lieu (on ne peut que le montrer). D’où « la dame de céans » (je suis avec elle dans la maison) vs « la dame de léans » (je ne suis pas avec elle dans la maison).

OUÏR

Du temps de Molière, « entendre » se disait « ouïr ».

Quand il est sous la forme du participe passé, ouïr nous semble encore un peu familier. Ainsi, dans L’Avare : « J’en ai ouï parler » (entendu parler) ou « Quand vous m’aurez ouï » (entendu, écouté). En effet, de nos jours, il est encore possible d’ouïr « ouïr » au passé composé (j’ai ouï dire que…) ou dans le nom composé un ouï-dire, des ouï-dire.

Mais quand Molière le conjugue, c’est une autre histoire ! « Et voilà de quoi j’ouïs (j’entendis) l’autre jour se plaindre » (L’Impromptu de Versailles), « Et nous n’oyions (n’entendions) jamais passer devant chez nous cheval, âne ou mulet… » (L’École des femmes).

Le verbe ouïr a une conjugaison si particulière que Raymond Devos lui a même consacré un sketch !

Aujourd’hui, ce vieux verbe n’est plus employé que « plaisamment », comme l’indique Le Petit Robert,notamment sous la forme impérative : « Oyez, oyez ! », très caractéristique, dans l’imaginaire populaire, du parler médiéval.

ASSURÉMENT

Molière utilise beaucoup cet adverbe, très en vogue en son temps. Il l’emploie parfois seul, en guise de réponse, pour dire « oui » ou « certainement. » Ainsi, dans L’Avare :

HARPAGON – Allons, rends-le-moi sans te fouiller.
LA FLÈCHE – Quoi ?
HARPAGON – Ce que tu m’as pris.
LA FLÈCHE – Je ne vous ai rien pris du tout.
HARPAGON – Assurément ?
LA FLÈCHE – Assurément.

Au sein d’une phrase, il signifie « bien sûr », comme ici : « Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre », dit Sganarelle dans Don Juan.

Il est noté vieilli dans Le Petit Robert. Et pourtant, non seulement il a beaucoup d’élégance, mais il témoigne d’un engagement, véhicule de l’assurance. D’ailleurs, le mot, formé sur « assuré », a d’abord signifié « avec assurance ».

Il ne vous reste plus qu’à répondre « Assurément ! » si l’on vous demande, par exemple, « Tu feras la vaisselle en mon absence ? ». De quoi rassurer les plus dubitatifs…

INCLINATION

Quel joli mot que « inclination » ! Il désigne, chez Molière, ce « mouvement qui porte à aimer quelqu’un ». Le dramaturge l’emploie dès qu’il est question d’affaires de cœur.

Ainsi écrit-il « Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables… » (Dom Juan). Et aujourd’hui ? Plutôt que de dire « Je le kiffe », dites « J’ai de l’inclination pour lui ».

Le terme inclination s’emploie également pour nommer un penchant : « Mon fils a une inclination pour les mathématiques. » Onpourrait dire aussi qu’il est « enclin aux mathématiques » (ces deux mots sont de la même famille). D’ailleurs, souvenez-vous… Inclinaison ou inclination ? L’inclination est une action, un mouvement réel (l’inclination du buste) ou abstrait (l’inclination pour le bien, le mal). L’inclinaison est un état : l’état de ce qui est incliné (l’inclinaison d’un sol).

SOUFFREZ…

Par le passé, le verbe souffrir avait un sens aujourd’hui disparu : « supporter » (quelque chose de pénible, de désagréable).

Et chez Molière, ce sens est encore très populaire ! On rencontre le plus souvent le verbe à la forme négative : « Elle ne peut souffrir du tout la vue d’un jeune homme », « Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs » (L’Avare), « Oui, je ne pus souffrir d’abord de les voir si bien ensemble » (Dom Juan).

Le dramaturge l’emploie également à l’impératif « souffrez », au sens, cette fois-ci, de « permettez », « tolérez ».

« Souffrez, madame, que je me mette ici à la place de mon père » (L’Avare) ou dans cet extrait des Stances galantes de Molière :

Souffrez qu’Amour cette nuit vous réveille ;
Par mes soupirs laissez-vous enflammer :
Vous dormez trop, adorable merveille ;
Car c’est dormir que de ne point aimer.

Comment l’employer aujourd’hui ? Rien de plus simple, vous ne pouvez pas supporter, sentir, blairer, piffrer quelqu’un ? Dites que vous ne pouvez pas le souffrir ! Et bien sûr, utilisez l’impératif « souffrez » quand vous devez demander une permission. « Souffrez, Monsieur, que j’emprunte votre stylo ! »

BONUS : la place du pronom complément

Aujourd’hui, en français, quand un groupe verbal est composé d’un verbe conjugué suivi d’un verbe à l’infinitif, le pronom complément se place entre le verbe conjugué et l’infinitif.

Eh bien, dans la langue de Molière, ce n’est pas le cas ! Il se place avant le groupe verbal (considéré comme indissociable), ce qui donne : pronom complément + verbe conjugué + verbe à l’infinitif.

Exemples : 

– Vous en devriez profiter (aujourd’hui, on dit : vous devriez en profiter).
– C’est toi qui te veux ruiner (C’est toi qui veux te ruiner).
– Votre fille vous peut représenter (Votre fille peut vous représenter).
– Rien ne me peut changer (Rien ne peut me changer).

Si cette tournure classique est encore courante dans le français du XVIIe, elle est de plus en plus concurrencée par la tournure moderne, et finit par disparaître à la fin du même siècle.

Sandrine Campese

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    Merci Dominique ! J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette série d’articles et je suis heureuse que vous en ayez autant à la lire ! Bonne journée.

    Bonjour Sisi Rose, très bonne idée d’en faire profiter vos élèves, en n’oubliant pas de citer l’autrice Sandrine Campese et le site Projet Voltaire :-). Bonne journée.