Aigle, espace, solde… Ces noms qui changent de sens en changeant de genre !

Après avoir abordé le fameux trio de noms, amour, délice et orgue, lesquels, traditionnellement, sont masculins au singulier et féminins au pluriel, place aux noms qui changent de sens en changeant de genre ! Ils sont bien plus nombreux que nous le pensons. Généralement, l’un des genres correspond au sens courant, l’autre à un sens plus spécifique (faune, flore, musique, héraldique…). Si vous connaissez certainement la plupart d’entre eux, certains pourraient bien vous surprendre…

Un aigle / une aigle

Le genre le plus employé : masculin 

L’aigle, c’est bien connu, est un grand rapace au bec crochu, aux serres puissantes, qui construit son nid sur les hautes montagnes. Profitons-en pour rappeler que le nid d’un aigle est une « aire ».

Le genre moins connu : féminin 

Une aigle est non seulement la femelle de l’aigle, mais c’est aussi la figure héraldique (emblème de blason) représentant un aigle ou l’enseigne militaire en forme d’aigle. On parle ainsi des aigles romaines, de l’aigle impériale (des armées napoléoniennes). 

Attention, le féminin ne vaut que pour ces deux cas précis (héraldique et militaire). Pour toute autre figure représentant un aigle, c’est le genre masculin qui est de mise. 

Autre changement de genre et de sens en héraldique : le rencontre, qui désigne une tête d’animal vue de face vs la rencontre, bien plus connue !

Un espace / une espace

Le genre le plus employé : masculin

On dit et on écrit « un espace » pour désigner le lieu où l’on peut situer quelque chose. Ce lieu peut-être plus ou moins bien délimité (l’espace vert, vital, aérien, l’univers…). L’espace est encore, en philosophie, en psychologie, en géométrie ou en physique, un milieu abstrait. Enfin, c’est une étendue de temps. C’est en ce dernier sens que Malherbe l’emploie quand il écrit ses fameux vers : « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. »

Le genre moins connu : féminin 

Une espace

On dit et on écrit « une espace » quand il s’agit du « blanc » placé entre les mots ou les lettres. Pourquoi ? Parce qu’à l’origine, une espace est, en typographie, la petite tige métallique qui sert à espacer les mots. Étymologiquement, le féminin est issu du masculin, lui-même tiré du latin spatium (d’où spatialspationaute…). 

Une œuvre / un œuvre 

Le genre le plus employé : féminin 

Une œuvre

Œuvre est féminin quand il s’agit de l’activité, du travail, de l’action humaine et son résultat, de la production littéraire et artistique (une œuvre littéraire, une œuvre d’art)… Notons que, jadis, œuvre était masculin dans ce sens. Ainsi La Fontaine écrit-il « Sans cela toute fable est un œuvre imparfait » (Le Chat et les Deux Moineaux). Pourquoi ? Le grammairien Vaugelas, dont les célèbres Remarques étaient alors parole d’évangile, préconisait que le nom œuvre soit masculin au singulier, féminin au pluriel. Comme amour, délice et orgue !

Le genre moins connu : masculin 

De nos jours, œuvre est masculin essentiellement en architecture. Il désigne l’ensemble d’une bâtisse (un œuvre, les œuvres). Quant au « gros œuvre », ce sont les fondations, les murs et la toiture d’un bâtiment, par opposition au « second œuvre », ouvrages d’achèvement d’une construction (plomberie, chauffage, électricité, vitrerie, serrurerie, peinture…). Et le « grand œuvre », alors ? En alchimie, c’est la transmutation des métaux en or, la recherche de la pierre philosophale !

De même, une manœuvre (un maniement, un mouvement de troupes, une machination…) et un manœuvre (ouvrier non spécialisé).

Une ombre / un ombre

Le genre le plus employé : féminin 

Une ombre, nous le savons, c’est un espace privé de lumière ou l’image projetée par un corps.

Le genre moins connu : masculin

Au masculin, ombre a une acception bien précise : c’est le nom d’un poisson de rivière ! Il a la même étymologie que le féminin ombre, c’est-à-dire le latin umbra. Cette origine est liée à sa teinte sombre. À ne pas confondre avec « l’omble », autre poisson d’eau douce de la même famille que l’ombre (celle des salmoniformes, comme le saumon, la truite…).

Un ombre

Notons que, parmi les noms qui changent de sens avec le genre, les poissons ont la part belle ! Ainsi, la carpe (poisson) vs le carpe (os du poignet), la môle (poisson) vs le môle (construction portuaire), le page (poisson ou jeune serviteur d’origine noble) vs la page (feuille de papier…), le baliste (poisson venimeux) vs la baliste (machine de guerre).
Enfin, pour rester dans la même idée, si le trouble est un désordre, la trouble est un petit filet de pêche !

Un ponte / une ponte

Le genre le plus employé : féminin

La ponte, c’est l’action (pour une femelle ovipare, comme la poule, la tortue…) de déposer ses œufs. Le terme désigne aussi les œufs pondus en une fois.

Le genre moins connu : masculin

Un ponte, un grand ponte, c’est un personnage important, qui fait autorité. Exemple : un ponte de l’industrie, de la médecine, de la mafia… Les amateurs de jeux de hasard savent aussi que le ponte désigne chacun des joueurs qui jouent contre le banquier au baccara, à la roulette…

Le saviez-vous ? Pour parler familièrement d’une personne influente, on peut également féminiser le genre du nom légume, d’ordinaire masculin, en disant que c’est « une grosse légume » !

Un solde / une solde

Le genre le plus employé : masculin

Un solde

Le solde c’est, dans un compte, la différence entre le crédit et le débit. Le solde de marchandises (ou le solde tout court), ce sont les marchandises mises en vente au rabais. Quand on fait les soldes, c’est bien de ce solde-là qu’il s’agit ! Contrairement à ce que l’on voit fleurir sur les vitrines, il faut donc parler de soldes fous, de soldes permanents, de derniers soldes…

Le genre moins connu : féminin

La solde a une seule acception : c’est la rémunération versée aux militaires (et à certains fonctionnaires civils assimilés). On retrouve ce sens dans l’expression populaire « être à la solde de quelqu’un », c’est-à-dire payé, acheté par quelqu’un pour accomplir de basses besognes.

Définitions tirées du Petit Robert de la langue française (dernière édition, version numérique)

Sandrine Campese

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    Bonsoir Tony, l’acception d’un mot est « le sens particulier d’un mot, admis et reconnu par l’usage. » Rien à voir donc, avec « l’exception » ;-). Bonne soirée.

Bonjour, pouvez-vous me donner la bonne orthographe s’il vous plait sur cette phrase; comme le démontre (démontrent) un grand nombre d’indices. Merci.

Bonjour,

Que doit-on dire lorsqu’on parle de la pandémie
à) Pandémie à la COVID ou
b) Pandémie de COVID

Merci à l’avance

j’aimerais savoir quel est le bon texte à utiliser entre ces 2 phrases :
L’impact de la pandémie à la COVID

Et l’on connaît bien les sens du mot « litre » au masculin, mais qu’est-ce qu’une litre ??? Je l’ai découvert récemment, et vérifié dans mon « petit ROBERT ». À vos dictionnaires ! Bien cordialement. Claudio (formateur Voltaire en retraite mais toujours attentif…)

    Bonjour Claudio, j’ai également vérifié dans mon Petit Robert :-). Acception intéressante et assez méconnue, me semble-t-il. Je la note pour une éventuelle suite. Merci et bonne journée !

Bonjour Sandrine,

merci de ce complément d’information. Il est toujours intéressant de rappeler qu’il existe le pendant féminin de certains mots plus utilisés pour leur sens au masculin par habitude ou par méconnaissance. La féminisation des mots est encore si absente dans notre langage (et notre écriture de fait…) Je guette vos écrits ainsi que ceux de vos collègues, ils sont si bien rédigés. Un régal de vous lire et d’apprendre!
J’aimerais avoir la même aisance littéraire à l’issue de ma formation! En tout cas, vous me confortez dans l’idée qu’écrire est décidément un formidable moyen d’expression!
Merci à vous.

Fabienne