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Émojis, émoticônes et communication professionnelle

Et… top, le chronomètre tourne ! « Je suis la représentation graphique stylisée et symbolique d’une émotion, d’un état d’esprit, d’une impression ou d’une ambiance. On m’utilise principalement dans des messages écrits et informatisés, comme un courrier électronique ou un texto. Je suis… Je suis… »

L’émoticône, bien entendu. Il s’agit d’un mot-valise, contraction des mots « émotions » et « icône ». L’émoticône peut prendre la forme d’une suite de caractères typographiques formant un visage ; les plus célèbres sont certainement ceux qui expriment la joie et la tristesse.

Les émojis, déclinaison graphique des émoticônes, peuvent quant à eux exprimer un très grand nombre d’émotions, grâce à de multiples éléments : personnages, gestes, corps, drapeaux, types de transport, symboles… Le cœur est ainsi très souvent utilisé.

Les émoticônes et les émojis ont envahi nos écrans, ceux de nos téléphones portables et de nos ordinateurs. Ils se sont glissés dans tous nos messages personnels… et professionnels. Est-ce une bonne chose ? Faut-il les utiliser dans nos échanges avec nos collègues, nos subordonnés, nos supérieurs hiérarchiques ? Et enfin, peut-on utiliser ces drôles d’images dans nos messages tout en respectant les règles du français, notamment en matière d’orthotypographie ?

D’où viennent les émoticônes et leurs « descendants », les émojis ?

Il semble que l’émoticône vienne de loin. On en trouve une trace dans certains journaux dès le XIXe  siècle, sous la forme d’un visage qui exprime alors la joie, la mélancolie, l’indifférence ou l’étonnement. En 1963, le graphiste américain Harvey Ball invente le fameux « smiley face » pour le compte d’une compagnie d’assurances : un petit visage rond, avec deux points représentant des yeux et un trait arrondi figurant un sourire. Cette référence est reprise avec humour dans le film Forrest Gump.

Selon le journal anglais The Guardian, l’émoticône telle qu’on la connaît actuellement est née en 1982 avec la vocation de permettre la distinction entre les messages électroniques sérieux et les blagues. Le chercheur en informatique Scott Fahlman, qui serait le créateur du smiley.

Son opposé, le « frowney » (de l’anglais frown, qui signifie « froncer les sourcils »), est également sa création. Scott Fahlman admet cependant qu’il n’est pas à l’origine du fameux clin d’œil.

Notons que parallèlement aux émoticônes se développent les kaomojis (ou « faces en caractères ») : venus du Japon, ils représentent eux aussi des expressions faciales. Il faut toutefois attendre la fin des années 1990 et l’avènement des téléphones portables et des messageries électroniques pour assister à la déferlante des célèbres émojis. Le mot vient du japonais et mixe les termes « image » et « lettre ». Créés par la firme japonaise NTT DoCoMo, ils sont – contrairement aux émoticônes – de véritables images, fixes ou animées.

Ils ont par ailleurs la particularité d’être directement accessibles dans les messageries, sur des sites spécialisés et sur les réseaux sociaux : il n’est donc pas nécessaire de les créer à l’aide du clavier. En 2017, le mot « émoji » entre dans le Petit Robert, preuve de son succès. Il en existerait actuellement entre 3 000 et 4 000 et ils ont même droit à une journée mondiale, chaque 17 juillet !

Notez que si le très populaire « smiley » est entré dans le lexique courant et tend à désigner les émojis dans leur ensemble, l’Académie française recommande d’employer le mot « frimousse » ! Les Québécois, eux, parlent de « binette ».

L’utilisation des émojis dans le cadre professionnel

Sans surprise, ces petites images sont venues ponctuer nos messages, et pas seulement ceux destinés à nos amis et à nos proches. Ainsi, sur une messagerie professionnelle, on utilise volontiers un « smiley » pour dire bonjour à ses collègues le matin ou faire savoir qu’on est de bonne humeur. Au contraire, on peut copier-coller un petit visage rouge et mécontent pour signifier le désappointement ou la colère. On peut aussi rappeler à son équipe que l’on célèbre bientôt l’anniversaire d’Anthony, le chargé de communication… et placer judicieusement un émoji « cadeau » à côté du lien vers la cagnotte en ligne.

Faut-il s’offusquer de cette pratique ?

Une étude réalisée en 2023 et reprise par le blog du modérateur répond partiellement à cette question. 78 % des salariés estiment que l’utilisation des émojis au travail les aide à mieux comprendre les intentions de leur interlocuteur. Ils sont par ailleurs 72 % à trouver acceptable d’utiliser des émojis « à outrance » sur une application de messagerie instantanée au travail. D’un autre côté, 78 % des personnes interrogées estiment que l’absence d’émoji dans un message professionnel est normale. Un peu paradoxal, pas vrai ?

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Précisons par ailleurs que certains professionnels estiment que l’utilisation des émojis dessert la crédibilité professionnelle et engendre une perte de temps. D’autres rétorquent que cela permet au contraire d’humaniser la communication et de renforcer la convivialité entre collègues. Des articles mettent en avant le langage universel que constitueraient les émojis… tout en insistant sur le risque de malentendus en cas de surutilisation. Les émojis sont tantôt perçus comme des gages d’honnêteté et des éléments permettant de capter l’attention, tantôt comme des distracteurs ou des créateurs de confusion.

Sur le sujet, Marie-France Claerebout, experte en français, membre de notre comité d’experts et autrice de l’ouvrage S’entraîner au Certificat Voltaire, donne quelques précisions dans ce livre. Elle note d’abord que « l’utilisation d’émoticônes donne une image jeune de l’entreprise ». Celle-ci a intérêt à exploiter ces images si elle souhaite communiquer sur les réseaux sociaux. Cette pratique peut aussi favoriser le marketing, car « des émoticônes bien choisies renforcent la dimension émotionnelle du récit. » A contrario, Marie-France Claerebout note que certains clients peuvent ne pas être sensibles à cette forme de communication. Elle précise par ailleurs que, parfois, l’incompréhension existe. L’exemple de l’image représentant le visage d’une personne riant aux larmes est évocateur : « il s’est avéré que des personnes peu habituées à ce langage graphique voyaient avant tout les larmes lorsqu’elles découvraient ce symbole ; […] »

De fait, l’usage des émojis est très différent selon l’âge et le sexe. La linguiste Laélia Véron insiste d’ailleurs sur cette incompréhension possible : « On retrouve aussi des malentendus […] : par exemple, certains vont interpréter l’émoji avec un sourire en coin comme sexuel, alors que d’autres pas du tout. […] On peut même dire qu’il y a des argots émojis quand certains signes sont détournés et prennent un sens cryptique. L’exemple le plus célèbre, c’est l’emploi sexuel des aubergines et des pêches. Imaginez si vous envoyez cela à une personne qui ne connaît pas cette convention… La justice doit, dans certains cas, se prononcer sur l’interprétation. »

Sans aller jusque-là, évidemment, dans la communication professionnelle, on peut convenir que, même avec des images dont le sens semble limpide, un émoji peut être très mal interprété par un responsable hiérarchique, un collègue, un client… Rappelons par ailleurs que les émojis posent des problèmes d’accessibilité. Une personne non-voyante ou malvoyante se trouvera en difficulté pour saisir le sens d’un message teinté d’ironie par un émoji. Dans le doute, faut-il complètement s’abstenir d’utiliser ces symboles dans notre communication professionnelle ?

Le tout est de faire la part des choses : l’utilisation des émoticônes et des émojis doit être circonscrite au sein d’entreprises ou de secteurs professionnels où cela est toléré. Il faut par ailleurs les utiliser à bon escient et savoir s’en passer dès lors que la situation l’impose.

Les émojis et le français

Reste une question, et pas des moindres : comment utiliser les émojis sans contrevenir aux règles du français, en particulier celles qu’impose l’orthotypographie ? La réponse est malheureusement encore floue ! Seule certitude à ce jour : les émoticônes ou émojis ne peuvent pas être considérés comme des signes de ponctuation. La chercheuse Chloé Léonardon, autrice d’une thèse sur le sujet, note qu’ils sont souvent – mais pas toujours – utilisés pour se substituer au point en fin de phrase, jouant en quelque sorte le rôle d’une ponctuation expressive « au même titre que les points d’exclamation ou d’interrogation ».

Mais ceci résulte d’une pratique et non de l’application de règles de français. Aucun dictionnaire ne mentionne les émojis comme de possibles signes de ponctuation, et l’Académie française note dans cet article : « Le point d’interrogation, la virgule, les deux-points, mais aussi les guillemets, les parenthèses, les tirets sont des signes de ponctuation. » Ni les émoticônes ni les émojis ne sont mentionnés. Il n’est donc pas possible d’autoriser leur usage comme ponctuation effective.

Notons au passage que l’usage des émojis avec les signes de ponctuation pose problème. Par exemple, faut-il obligatoirement mettre une espace avant et après un émoji ? Si oui… quid des cas où cette espace n’a pas lieu d’être, par exemple avant un point ou une virgule ? L’usage d’émoticônes, elles-mêmes composées de signes de ponctuation, rend l’équation encore plus compliquée !

Convenons donc que l’utilisation des émojis et des émoticônes dans un texte se fait nécessairement hors du cadre des règles d’orthotypographie et de grammaire.

Si néanmoins vous souhaitez utiliser des émojis dans votre communication professionnelle, voici quelques conseils de bon sens glissés par l’une de nos correctrices et spécialistes en orthographe.

  • Limiter le nombre d’émojis dans un texte : mieux vaut un émoji bien choisi et pertinent que plusieurs s’ils ne sont pas cohérents et risquent de brouiller le sens du propos.
  • Éviter de placer des émojis au milieu d’une phrase : cela peut nuire à la qualité de la lecture. Il vaut mieux privilégier la tête de phrase pour attirer l’attention sur ce qui suit et au contraire privilégier la fin de phrase pour ponctuer ce qui précède.
  • Ne pas éluder le point à la fin de la phrase en le remplaçant par un émoji : encore une fois, les émojis ne sont pas des signes de ponctuation ! Si on place un émoji en fin de phrase, il faut donc mettre un point après.

Par ailleurs, songeons encore une fois à l’accessibilité si d’aventure on souhaite glisser des émojis dans son texte. Il faut tout d’abord se renseigner sur la signification des émojis que l’on veut utiliser : les technologies d’assistance peuvent en effet restituer leur équivalent visuel. Pour cela, il faut consulter les sites qui indiquent cet équivalent textuel, comme Emojiterra ou Emojipedia.

Ensuite, il convient d’éviter de multiplier les émojis dans le message : cela rend de facto la compréhension plus compliquée. Par exemple, une personne malvoyante aura plus de mal à comprendre un texte si la lecture est interrompue trop souvent par la transcription d’un émoji. Il faut également éviter d’utiliser des émojis à la place des mots et placer les émojis en fin de phrase plutôt qu’au milieu.

Nous espérons qu’après la lecture de cet article, vous y voyez plus clair ! Encore une fois, nous vous recommandons la plus grande prudence dans l’utilisation des émojis, surtout s’il s’agit de communication professionnelle. Si l’usage de ces petits symboles s’est largement démocratisé, n’oublions pas que les mots sont la base de notre langage.

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