Histoire d’une faute célèbre : « Polisse »

Tout comme Simetierre, titre du film adapté du roman éponyme de Stephen King, le titre du film français Polisse contient une faute d’orthographe volontaire. Et tout comme Simetierre, elle vise à reproduire l’écriture d’un enfant. Ce titre fautif, osé mais complètement assumé, prend tout son sens à la lumière du sujet traité. L’occasion de nous pencher sur l’histoire de cette « faute » célèbre, qui, d’une certaine manière, a contribué au succès du film, marquant durablement les esprits.

Oh –ice ou –isse ?

En français, il existe des mots en -ice comme « novice », « avarice », « malice », « propice » et des mots en -isse comme « réglisse », « métisse », « saucisse », « esquisse », etc. Les confusions les plus fréquentes portent notamment sur les deux noms pluriels « prémices », qui indique un commencement (et prend donc un « c »), et « prémisses », qui englobe les deux propositions d’un raisonnement. De même, les homophones « lisse/lice » et « visse/vice » sont à distinguer à l’écrit.

À noter que le patronyme du seigneur de La Palice peut s’orthographier La Palisse. Il est passé à la postérité pour ses lapalissades, réflexions niaises ou ridicules tant elles sont évidentes. Si « Palice » peut s’écrire « Palisse », en revanche « police » n’a qu’une seule orthographe !

Lisse, la police !

Pour comprendre la faute du titre Polisse, encore faut-il savoir que le film traite du quotidien des policiers de la Brigade de protection des mineurs (BPM) de Paris et en particulier de l’unité chargée des affaires de mœurs : pédophilie, viols, maltraitance, etc.

Avec sa faute d’orthographe, le titre rend, en quelque sorte, hommage aux jeunes victimes des adultes. Le choix d’une écriture cursive (en lettres attachées) et irrégulière confirme cette volonté tout en éclairant le lecteur sur le caractère intentionnel de la faute. Le choix des deux « s » à la place du « c » met implicitement en avant l’adjectif « lisse », qui permet justement de « lisser », d’adoucir, la connotation forcément sévère d’un mot comme « police ». C’est un choix typographique très réaliste qui fait complètement corps avec l’aspect documentaire du film.

Tout est fait pour nous faire croire que c’est un enfant qui a tracé le mot, et d’ailleurs, c’est le cas ! En effet, la réalisatrice Maïwenn a justifié dans les médias la faute du titre en ces termes : « Le titre qui s’est d’abord imposé à moi était Police, mais il avait déjà été pris, et pas par n’importe qui ! J’ai ensuite eu envie d’intituler le film T’es de la police ?– et je me suis rendu compte qu’il avait également été utilisé il y a quelques années. Un jour, alors que mon fils faisait de l’écriture, le titre Polisse, avec la faute d’orthographe et l’écriture d’un enfant, est d’un coup devenu évident pour le sujet du film. »

La faute fait florès

Parallèlement au succès rencontré par le film, salué par la critique (prix du jury au Festival de Cannes de 2011, deux césars en 2012) et par les spectateurs (près de deux millions et demi d’entrées au box-office France), des affiches dévoilant le visage des acteurs et contenant un seul mot, Merssi (pour « Merci »), ont été diffusées. Si l’orthographe – qui n’est pas sans rappeler le nom d’un célèbre footballeur argentin – pique les yeux, au moins la réalisatrice a-t-elle pleinement assumé son parti pris de départ.

Enfin, bien que le mot « police » soit le même en français et en anglais, c’est la traduction Poliss qui a été retenue, sans doute parce qu’un jeune anglophone qui ferait une faute à police utiliserait la finale -iss, commune en anglais, et non la terminaison française -isse.

Sandrine Campese

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Bonjour, merci pour vos articles, je signale juste pour info que dans le chapô, ici : « titre du film adapté du roman éponyme de Stephen King », si je n’m’abuse, il y a inversion du sens : c’est Stephen King qui est éponyme. Ci-dessous déf. du Trésor de la langue française (idem c/° Larousse). Cordialement
A.? HIST. ANC.
1. GR. (Divinité, héros) qui donnait son nom à un groupe de personnes, en particulier à une cité, à une tribu. Il y en avait quatre [tribus] qui reconnaissaient chacune pour héros éponyme un des quatre fils d’Ion (Mérimée, Mél. hist. et littér.,1855, p. 155).
2. GR. ET ROMAINE. (Magistrat) qui donnait son nom à l’année pendant laquelle il exerçait sa charge. Archonte, éphore éponyme. Rois, empereurs et dignitaires éponymes (Hist. et ses méth.,1961, p. 517).
B.? P. ext. (Celui, celle, ce) qui donne son nom à quelque chose ou à quelqu’un, à qui l’on se réfère, que l’on vénère. Une autre patronne [que moi, l’histoire] sera votre éponyme (Péguy, Clio,1914, p. 201):

      En effet, le billet sur « éponyme » nous permet d’y voir plus clair. Toutefois, l’astuce dévoilée en fin de billet peut induire en erreur, puisqu’il y est précisé que « éponyme s’emploie à propos d’une personne et non d’une chose ».
      Toujours est-il que Simetierre – le roman – a bien donné son nom à Simetierre – le film…
      C’était en fait un piège de la part de Sandrine Campese, pour voir si on suivait 😉

        Bonjour Zede, merci pour votre remarque très pertinente ! En fait, la précision que j’avais fait figurer dans ce billet il y a quelques années n’est pas en usage. Je l’ai donc supprimée. Ce qui compte, c’est de bien employer « éponyme » dans le sens de « qui donne son nom à » et non dans le sens de « qui a le même nom que ». Bon après-midi.