Anglicismes, toponymes, politiquement correct : comment enrichit-on la langue française ?

Au Projet Voltaire, nous nous intéressons à la langue française au sens large : orthographe, étymologie, expressions, figures de style, vocabulaire… Ce mois-ci, nous vous proposons un coup de projecteur sur une entité assez méconnue, peu valorisée et pourtant essentielle : la Commission d’enrichissement de la langue française.

Les anglicismes, un gros dossier !

L’une des principales missions de la Commission d’enrichissement de la langue française est de proposer des équivalents français à des mots étrangers… essentiellement des anglicismes ! Quels sont les domaines concernés ? Comme il est indiqué sur le site de la Commission, il s’agit des « réalités nouvelles et des innovations scientifiques et techniques ».

Or, la Commission doit faire face à plusieurs écueils. D’abord, elle est souvent battue en brèche par la rapidité avec laquelle s’imposent les nouveaux services, produits, loisirs… et donc les anglicismes y afférents. Pour créer un nouveau terme (c’est ce qu’on appelle la « terminologie »), il faut du temps, pas seulement pour l’inventer, mais pour qu’il s’installe, se diffuse, entre dans l’usage.

En ce début d’année 2020, par exemple, la Commission s’intéresse de près aux noms de disciplines ou d’équipements sportifs. Selon ses recommandations, le circuit training est l’entraînement en boucle et le cliffdiving ou highdiving, le plongeon extrême. Déjà, en 2008, elle s’était attaquée aux noms de sports contenant l’anglicisme beach comme beach volley (volley sur sable), puis, en 2013, aux noms de sports commençant par street tel le street football (football de rue).

Deuxième écueil : certains équivalents peuvent paraître inappropriés, notamment en cas de traduction trop littérale. Ainsi les Français ont-ils la moquerie facile envers les Québécois qui mettent un point d’honneur à franciser (enfin, à québéciser !), parfois mot pour mot, un grand nombre d’anglicismes. Si certaines traductions de titres de films, comme Pulp Fiction devenant Fiction pulpeuse, prêtent à sourire, l’effort est louable et nous ferions mieux de nous en inspirer…

Trop littérales, et trop longues aussi ! C’est un reproche récurrent fait aux équivalents français, dans un contexte où il faut aller toujours plus vite, à l’oral comme à l’écrit. Pour preuve, les fameux acronymes : FYI (for your information) ou ASAP (as soon as possible) qui s’immiscent dans nos mails, pardon, courriels ! Pourquoi donc se priver d’utiliser un mot contenant certes une syllabe de plus, mais si bien formé : courri(er) + él(ectronique).

Mais le vent tourne et la Commission obtient gain de cause sur un certain nombre de termes comme infox (à la place de fake news) ou encore divulgâcher (plutôt que spoiler). Pourquoi ceux-ci ont-ils plus de succès que d’autres ? Peut-être parce que ce sont des mots-valises : le premier forgé à partir des noms information et intoxication, le second à partir des verbes divulguer et gâcher. Le mot créé est simple, court, plaisant, le sens évident.

Spoiler est à l’origine un vieux verbe français, espoillier, qui a donné spolier chez nous et qui s’est épanoui outre-Manche sous la forme spoiler. En fin de compte, seul le « i » a vraiment voyagé…

Au Projet Voltaire, nous avons à cœur de remplacer les anglicismes par des équivalents français tout à fait satisfaisants. Nous proposons aux internautes de s’abonner à notre lettre d’information (et non newsletter) et nous avons récemment lancé un jeu d’évasion (aussi efficace que l’escape game !) à destination des entreprises.

Les exonymes, ces toponymes qui voyagent

Si les anglicismes constituent le « gros » du travail de la Commission, d’autres termes méritent une attention toute particulière. C’est le cas des toponymes ou noms de lieux. Comme il est rappelé sur le site, ces derniers ont vocation à se transformer : entre 1914 et 1991, Saint-Pétersbourg est devenu Petrograd, puis Leningrad, avant de reprendre son appellation d’origine.

À se transformer et… à s’exporter ! La Commission intervient sur la transposition, la transcription, l’adaptation de ces toponymes dans une autre langue. Ils deviennent alors des… exonymes ! Ainsi, Frankreich est l’exonyme allemand de France, Allemagne est l’exonyme français de Deutschland. Les exonymes de España sont Spain en anglais, Spanien en allemand, Spagna en italien, Espagne en français…

Il est intéressant de noter que la capitale chinoise, Beijing (qui se dit ainsi en anglais), a pour exonyme français Pékin. Cette forme, qui serait apparue en France au XVIe ou XVIIe siècle, fait de la résistance ! Mieux, elle a influencé l’italien (Pechino), l’allemand et le néerlandais (Peking) et le portugais (Pequim), notamment.

Plus de 8 000 : c’est le nombre de termes français proposés depuis 1996 par les groupes d’experts de la Commission, en liaison avec l’Académie française ! Les listes de termes adoptés sont publiées au Journal officiel et systématiquement reprises au Bulletin officiel.

Politiquement correct : le cas du nègre littéraire

Autre cheval de bataille : les mots qui, au fil du temps, ont pris une connotation dépréciative, péjorative, raciste, vieillie… C’est le cas du nègre (littéraire), expression mise à l’honneur sur le site de la Commission. Ses membres ont proposé des équivalents comme prête-plume, plume cachée, plume de l’ombre… Des termes assez élégants, voire poétiques, permettant d’éviter de recourir à la forme anglo-saxonne ghostwriter (littéralement, écrivain fantôme).

Et vous, êtes-vous sensible à l’emploi de mots français appropriés ? Que faites-vous, à titre personnel, pour enrichir votre langue ? N’hésitez pas à nous le dire en commentaire de cet article.

Sandrine Campese
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Je suis toujours étonné d’entendre dans vos Tj le mot « drive » pour ce qui s’est toujours appelé ici « service à l’auto »; et je passe sous silence « dispatcher » que nous avons longtemps combattu pour le remplacer par « répartiteur » et qui nous revient par l’usage qu’en font les Français. C’est comme si les Français se faisaient une gloire de connaître des mots anglais. Mais bon, les langues ont toujours fait des emprunts.

Je saisis la perche tendue pour citer (et désapprouver, bien entendu) une tournure employée par un journal bien connu (Télérama)… la semaine dernière celui-ci a osé écrire : « une leadeuse »…
Avez-vous un commentaire sur cette forme ?

La capitale de la Chine n’est appelée Beijing en anglais que depuis quelques décennies. Auparavant, on écrivait Peking en anglais. Les formes Pékin / Peking sont aujourd’hui considérées moins respectueuses / plus colonialistes.

verbe est « to spoil ».´

Bravo pour cet article qui m’enchante et me rassure. Les anglicismes sont à combattre, mais que faire face aux médias qui les emplois chaque jour ? il suffit d’écouter les infos sur les chaines d’info continu pour n’entendre que ça. Comment lutter contre cette invasion lorsque dans certaines émissions populaires, les présentateurs parlent de; standing ovation ou de one man chow ? la popularité de ces appellations les inscrive dans notre culture et du coup que devient-elle notre belle langue et avec elle la culture Française ? Au Québec, les panneaux de STOP sont marqués arrêt, ce n’est pas demain que l’on verra cela en France.

    Bonjour Hericstan, la meilleure façon de « lutter », comme vous dites, c’est de « montrer l’exemple ». À titre personnel, j’emploie déjà courriel à la place de mail depuis de nombreuses années et je suis parfois imitée :-). Bonne journée.

      Bonjour, pour rebondir sur votre réponse. Je vous imite depuis assez longtemps et me permet même de reprendre mes amis, lorsqu’ils emploient le terme de Week end, en leur souhaitant bonne fin de semaine ou bon dimanche. Je suis auteur et me refuse à employer un seul anglicisme dans mes ouvrages, je choisi plutôt zone de stationnement ou parc auto pour parking, terrain de bivouac pour camping. Je sais c’est excessif, mais j’aime ça. Merci pour vos réponses, ne me jugez pas trop durement. Please !

Il m’arrive (trop souvent à mon goût) de réécrire des phrases d’articles que je destine à mes blogs, et même des titres avant de les partager sur les « réseaux sociaux » ! Il s’agit d’anglicismes, mais aussi de grossières fautes d’orthographe ou de mots mal employés…

Pour « newsletter », pourquoi ne pas utiliser « gazette » plutôt que « lettre d’information ».
la « gazette du Palais » tri-hebdomadaire, n’a ps changé de nom depuis … 1881, époque à laquelle on ne parlait pas de newsletter..

Je suis membre de l’association « Impératif français » qui lutte contre l’envahissement de l’anglais sous toutes ses formes au Canada et particulièrement au Québec. Je fais tout ce que je peux à chaque manquement à la loi sur les deux langues officielles de l’intrusion anglaise. Lorsque je le signale sur un réseau social français, les intervenants de France me disent qu’ils ne peuvent rien faire contre les anglicismes; Moi, je leur dis de protester par tous les moyens à leur disposition: pétition, dépôt de plaintes, changer le mot anglais en français devant la personne qui l’emploie. Il y a toujours quelque chose à faire, à tenter sous peine d’être absorbé. Salutations.

    Bonjour Gérard, merci de votre message et de nous faire découvrir votre association. Ici, en France, nous avons conscience que les locuteurs français du Canada et du Québec sont plus à cheval que nous sur la francisation (parfois très littérale) de termes anglais. Et, en même temps, ils mêlent leur français d’autres anglicismes, ce qui est assez paradoxal ! Quoi qu’il en soit, au Projet Voltaire, nous avons à coeur de faire connaître les structures qui, en France, contribuent à défendre et promouvoir le français. Bonne journée.