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« Au jour d’aujourd’hui » est-il un pléonasme ?

Rarement tic de langage n’aurcalendriera plus divisé les Français ! « Au jour d’aujourd’hui » : certains l’emploient spontanément, se moquant qu’il soit redondant. D’autres bannissent l’expression, s’agacent en l’entendant. A-t-on raison d’être aussi intransigeant ? Avant de trancher une bonne fois pour toutes, quelques arguments :

Genèse d’un vieux pléonasme

Ce n’est pas l’histoire de Oui-Oui, mais celle de hui, un petit mot d’ancien français né au XIe siècle, qui signifiait « le jour où l’on est ». Il avait un ancêtre latin hodie, et deux cousins, hoy l’espagnol et oggi l’italien. Hui avait la belle vie, jusqu’à ce qu’on le trouve trop court et qu’on lui ajoute « au jour ». Hui devint aujourd’hui, c’est-à-dire « au jour de ce jour ».

Mais ce pléonasme n’était pas encore suffisant pour le peuple qui crut bon de dire « au jour d’aujourd’hui », soit « au jour du jour de ce jour ». Ne vous y méprenez pas, la formule n’est pas le fait d’une nouvelle génération ne sachant plus s’exprimer (comme on l’entend souvent), « au jour d’aujourd’hui » existe depuis 1531, année où il a été attesté la première fois ! Cela fait donc bien longtemps que « tout fout l’camp » !

Un pléonasme peut-il être utile ?

D’accord, « au jour d’aujourd’hui » est un pléonasme, mais est-ce une raison suffisante pour l’envoyer au bûcher ? Faut-il proscrire tous les pléonasmes ou certains ont-ils une utilité ? Vaugelas, grand grammairien français du XVIIe siècle, puriste parmi les puristes, avait sur la question un avis surprenant.

Dans ses Remarques sur la langue française (1647), il écrit qu’unir ensemble, voir de ses yeux, ouïr de ses oreilles, voler en l’air « sont fort bien dits » (sic). Il avance que ces expressions ne sont pas des pléonasmes car ici la répétition étend et renforce le sens du propos, parle à l’imagination et permet de représenter plus facilement une pensée. La tolérance de Vaugelas nous laisse pantois, alors qu’un de nos contemporains, le lexicologue Alain Rey, semble lui emboîter le pas.

La bénédiction d’Alain Rey

Alain Rey, connu pour son regard moderne sur notre langue (il est plutôt pro-néologisme, par exemple), considère danss un article du Magazine littéraire « qu’au jour d’aujourd’hui n’est pas toujours un vilain pléonasme ». Selon lui, l’employer permet d’insister sur le jour où l’on parle, tandis qu’aujourd’hui, de sens plus large, désignerait « le temps présent ».

Il s’appuie notamment sur le recueil de Victor Hugo, Contemplations, dont la seconde partie intitulée « Aujourd’hui » est sous-titrée « 1843-1855 ». Ajoutons qu’une distinction similaire existe en espagnol où hoy s’applique au « jour J » et hoy en día veut dire « ces temps-ci ».

Conclusion

Si certaines tournures, comme « le degré complet », ont un effet d’insistance (ex. : « la terre tout entière »), les pléonasmes sont à éviter autant que possible. Dans le cas présent, c’est facile : pourquoi ne pas employer aujourd’hui (« au jour de ce jour ») pour désigner la journée où nous sommes et « de nos jours », « à notre époque » ou encore « actuellement » à la place d’« au jour d’aujourd’hui » ?

Notre langue est si riche qu’il est toujours possible de « ruser » et d’éviter de tomber dans la lourdeur et la facilité !

Sandrine Campese

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Répondre à Chak Annuler la réponse

Bonjour. L’article a déjà 7 ans mais je ne le lis que maintenant !

Ne vous êtes-vous pas emmêlé les pinceaux à la fin de l’article ?

Je vous cite :

Alain Rey considère qu’employer « Au jour d’aujourd’hui » permet d’insister sur le jour où l’on parle, tandis qu’aujourd’hui, de sens plus large, désignerait « le temps présent ».

Alors pourquoi ne pas employer « aujourd’hui » pour désigner la journée où nous sommes et « de nos jours », « à notre époque » ou encore « actuellement » à la place d’ « au jour d’aujourd’hui » ?

Fin de citation.

Pour moi, vous avez inversé la logique de M. Rey. C’est donc bien que la polysémie du mot « Aujourd’hui » s’impose et restera.

Quant à l’emploi d’ « au jour d’aujourd’hui », je trouve cela pompeux et ça sort toujours de la bouche des hommes et femmes politiques qui répètent « gageure » (mal prononcé) comme si c’était un mot courant.

À mon sens, ça fait partie de la boîte à outils des pédants.

Puisque vous avez cité Alain Rey qui se montre tolérant envers cette formule, moi je vais citer l’Académie française qui liste cette formule dans les « emplois fautifs ».

Sans animosité aucune,
Merci de m’avoir lu.

    Bonjour Timothé, attention, vous n’avez pas respecté ce que j’ai écrit ! Vous avez mis bout à bout deux phrases éloignées, en ajoutant l’adverbe « alors », qui introduit une conséquence. Or, je n’ai absolument pas lié les deux informations. D’une part, j’indique, en l’étayant, le point de vue d’Alain Rey ; d’autre part, en conclusion, je fais une suggestion permettant de distinguer les deux sens (« le jour où l’on est » vs « de nos jours ») tout en évitant de recourir à « au jour d’aujourd’hui ». Bon après-midi.

Merci Sandrine pour ces lumières qui apaisent un peu ce conflit que j’ai avec mon épouse.
Je n’ai que peu de connaissances grammaticales mais je m’interrogeais sur la notion de pléonasme concernant cette expression. Hors de la question du double pléonasme avec l’histoire que vous narrez autour du hui et d’aujourd’hui.
Dans mon esprit, dire au jour d’aujourd’hui était un moyen de dater (a la date d’aujourd’hui) il est vrai que l’on ne dit pas au jour de demain, mais au jour d’aujourd’hui est il réellement un pléonasme s il permet de dater. Dire « à ce jour » ne date pas puisque « ce » jour pourrait être n’importe lequel (dans 3 jours, dans 20 ou 100 – encore faudrait il en préciser la date). Ne serait il pas plus précis de dire « au jour d’aujourd’hui » pour dater un moment a aujourd’hui un plutôt que « a ce jour »?

    Merci Julien pour votre message et votre réflexion intéressante. Pour moi, « à ce jour » peut très bien remplacer « au jour d’aujourd’hui ». Dans le même esprit, certains disent « à date » (à la date où nous sommes). Bonne journée.

La fameuse expression « Aujourd’aujourd’aujourd’aujourd’hui » insiste bien sur la nature présente des évènements auxquels on se réfère. Le premier « aujourd' » permet d’identifier la localisation temporelle du locuteur. Le second « aujourd' » signifie clairement que c’est bien de ce jour dont on parle, et non pas de l’autre jour auquel nous nous réfèrerions comme « l’autre jour ». Le troisième « aujourd' » clarifie le sérieux avec lequel la temporalité est prise. C’est bien connu : sans répétition, pas de légitimité. Le quatrième « aujourd' », enfin, permet de souligner l’absurdité de l’espace temporel dans lequel se situe l’action, et que s’appelorio « aujourd’hui ».
Le « hui » est là juste parce que j’aime bien dire « ce jour » en latin. Et vu qu’un pléonasme n’est drôle que quand on ne s’en rend pas compte, pourquoi ne pas aussi le placer à la fin d’aujourd’aujourd’aujourd’aujourd’hui ?

C’est amusant, on trouve le même pléonasme en latin, et notamment sous la plume de Cicéron, le modèle de la prose latine : hodierno die (littéralement : « au jour de ce jour-ci »). Faut-il taxer Cicéron d' »inculture crasse » ?
« Aujourd’hui » est une expression figée. Son orthographe en témoigne suffisamment. Ce pléonasme, s’il existe, souligne ou précise plus qu’il répète.
Merci pour ce site.

    Bonjour Paco974, merci pour cet exemple fort intéressant ! C’est dans cet esprit que nous avons tenté de « nuancer » la condamnation systématique de « au jour d’aujourd’hui » dans une bonne partie de l’article. Vous parlez du latin, nous avons évoqué également l’espagnol et son « hoy en día » ;-). Bonne journée.

Cette expression pléonastique traduit l’inculture crasse. Pourquoi ne pas dire : « De nos jours » ou tout simplement « aujourd’hui » ? Pour quelle raison compliquer notre si belle langue qui est déjà assez riche et assez subtilement complexe ? CQFD.

Ou pourquoi ne pas utiliser « À ce jour » ou « En ce jour », qui ne posent aucune ambiguïté par rapport au « temps présent » (on parle bien du jour présent), et qui ne présentent aucun pléonasme.

Chacun ayant son propre sens :
« À ce jour, elle n’a toujours pas de réponse »
« En ce jour, il est euphorique ».

Merci pour ce très bon article.

Merci pour vos explications, même si je n’adhère pas à la pensée des 2 hommes de lettres cités, mais votre conclusion, par contre, précise que notre vocabulaire est(encore) assez riche pour ne pas employer de telles « redondances »qui sont vraiment désagréables, à mon goût.
Ps: Ne croyez pas que je sois d’un niveau culturel, intellectuel élevé, je suis fils d’ouvriers très modestes, mais cela ne m’empêche pas d’aimer notre langue Francaise trop souvent malmenée.

On peut penser que Alain Rey est payé pour détruire la langue, si on l’écoute, le SMS est un progrès. Donc ce que monsieur Rey préconise et les choses pour lesquelles il s’enthousiasme, on peut toujours trouver ça éminemment suspect. On n’a qu’à dire que tout est permis et que rien n’est une faute, comme ça, monsieur Rey, le Napoléon de la langue, sera content. Quelle imposture ce mec. Cette formule a toujours été une faute en français, depuis que mon grand-père a fait ses études de français, sans être des ayatollah de la langue, ce vent de « aucune faute, tout est permis » va un peu trop loin, on assiste à une simplification et une perte de richesse de la langue.

    Bonjour Lil, pardonnez-moi, mais je trouve votre accusation infondée. Comment peut-on dire qu’Alain Rey « détruit notre langue » alors qu’il s’évertue, à travers ses ouvrages et ses conférences, notamment, à en expliquer l’histoire et les évolutions. Dans l’article que vous commentez, j’ai simplement indiqué qu’il ne condamnait pas systématiquement l’expression pléonastique « au jour d’aujourd’hui ». Quatre siècles plus tôt, le grand Vaugelas, connu pour sa tolérance aux pléonasmes, en aurait sans doute fait autant. Ouf, nous voilà rassurés : la modernité n’est donc pas la cause de tous nos maux ! Bon après-midi.

    Alain Rey, ce n’est pas lui au début des années 2000, qui a fait en sorte de valider le « autant pour moi’ au lieu de « au temps pour moi » en s’appuyant sur l’académie française alors même que l’académie française ne valide pas ?

Bonjour, votre article est fort intéressant, néanmoins je ne comprends pas votre conclusion. En effet, vous développez deux parties qui défendent l’utilisation du pléonasme par le biais de deux grammariens reconnus, pour achever votre argumentation par un refus d’utiliser des expressions tautologiques, pourquoi arriver ce raisonnement à la fin ?

bonjour
merci pour ces précisions mais alors Vaugelas trouverait il que les expressions « monter au grenier » ou descendre à la cave » qui inclut la répétition étend et renforce le sens du propos, parle à l’imagination et permet de représenter plus facilement une pensée ou bien dirait-il que ce sont des pléonasme?
qu’en pensez vous
merci

Serait-ce dû au fait que ces personnes qui disent « au jour d’ aujourd’ hui » n’ aient jamais entendu une autre langue, ou s’ ils en ont entendu une, ne l’ ont pas du tout comprise ?

L’ intuilité de cette formulation se comprend facilement quand on compare le mot « hui » à ses cousins, comme ceux déjà cités. Il y a aussi l’ allemand « Heute », et le mot aujourd’ hui serait plus correctement traduit par « am heutigen Tag ».

Pour l’ anglais « today », « au jour d’ aujourd’ hui » reviendrait à dire « to the day of today »…

Bonjour Sandrine,
Ce commentaire ne concerne pas directement le thème du jour (par ailleurs, fort intéressant); c’est une simple requête: plusieurs fois déjà, j’ai souhaité « partager » sur mon compte Twitter les excellents conseils et astuces que l’équipe du Projet Voltaire nous donne ici. Malheureusement, point de « bouton » ad hoc sur la page… Pourriez-vous SVP demander au « webmaster » d’y réfléchir, pour nous faciliter la tâche 😉
En 140 signes, il est difficile, en effet, d’extraire « la substantifique moelle » de tous ces articles. Il est bien plus aisé d’inclure sur Twitter un lien internet.
Merci par avance.

    Bonjour et merci pour votre sympathique message. Quand vous parlez d’un bouton « partage », évoquez-vous la fonction « retweet », qui permet de partager nos contenus à vos abonnés (liens internet compris) ? Si c’est le cas, je vous assure qu’elle est bien présente sous chaque publication faite par Projet Voltaire. Bonne journée.

      Merci pour votre réponse, Sandrine.
      Effectivement, j’évoquais le « retweet » (RT comme disent les jeunes !)….
      Aussitôt après vous avoir envoyé mon commentaire, j’ai « vu » (enfin !) le fameux « bouton » en haut de la page. Ma connexion de « campagne française profonde » explique sans doute ce chargement très très lent de ladite page. Ou bien est-ce tout simplement ma vue qui baisse 😉

N’oublions pas de préciser qu’il existe aussi un cran d’écart entre l’oral et l’écrit : on ne mettra sans doute pas sur papier ce que l’on dit dans une conversation courante.

De plus, le pléonasme est un effet de style, une question de langue, et non d’une incorrection à proprement parler. Cela signifie donc qu’il faut le « maîtriser » dans son discours, car il agit souvent (à tort ou à raison) comme un marqueur social.

Pour pasticher Pierre Desproges, je dirais volontiers qu’ « on peut pléonasmer de tout, mais pas avec n’importe qui… »