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Projet Voltaire : pour ou contre la réforme de l’orthographe ? Les experts sont partagés

lettresDes rectifications orthographiques, élaborées par des linguistes en 1990, feront leur entrée dans les manuels scolaires à la rentrée prochaine. La semaine dernière, l’annonce de cette mesure a provoqué un véritable tollé sur les réseaux sociaux. L’Académie française, qui a approuvé les modifications il y a 26 ans, a fini par sortir de son silence. Le Projet Voltaire a lui aussi décidé de réagir. Que penser du contenu de cette « réforme » ? Faut-il protéger la langue française coûte que coûte (ou coute que coute) ? Doit-elle au contraire évoluer de cette façon ? Découvrez, pour la première fois, les avis très partagés et passionnés de nos experts.

brunoBruno Dewaele
Professeur agrégé de lettres modernes, champion du monde d’orthographe

Que serait le Tour de France sans ses cols ? Peu de chose, n’est-il pas vrai ? Eh bien, je crains qu’il n’en aille de même pour la langue. D’aucuns, qui ont oublié que les utopies s’usent si l’on s’en sert, rêvent aujourd’hui de faire, de sinueux mais verdoyants chemins de campagne, une autoroute rectiligne et sans surprises. À supposer déjà que l’on y parvînt (la première tranche de travaux laisse en effet sceptique sur la capacité de nos réformateurs à ne point recréer en aval les bizarreries qu’ils suppriment en amont), elle risquerait surtout d’être monotone. Pis – et je songe là à qui verrait dans cette simplification tous azimuts une rare occasion de cacher la poussière de la débâcle scolaire sous le tapis –, n’espérez pas qu’elle soit moins meurtrière. Sur l’autoroute on s’endort, on relâche sa vigilance. Le virage au contraire la réveille, le dos-d’âne oblige à ralentir. C’est dans la difficulté que se forge l’écriture, et je ne sache pas qu’on l’ait jamais vaincue en l’éludant !

sandrineSandrine Campese
Rédactrice et auteure spécialisée en langue française

Je ne crois pas que la réforme simplifie l’apprentissage de notre langue. Ce sont des mots courants comme accueil ou connexion qui posent de réelles difficultés, pas nénuphar et oignon. Sans parler de la grammaire, absente des rectifications, qui fait bien plus souffrir les francophones (et leurs correcteurs automatiques !).

Pour moi, la réforme a pour but de faire évoluer notre langue, en se conformant à l’usage (qui prononce « évènement » depuis belle lurette), en corrigeant des anomalies qui vont à l’encontre de l’étymologie (chariot), en francisant les emprunts étrangers (scénarios) et en anticipant la création de nouveaux mots.

De ce point de vue, les conservateurs s’opposent à Malherbe et à Vaugelas qui ont voué leur vie à moderniser la langue française en la rendant plus claire et plus pure. D’où leur nom de… puristes ! Pourquoi, en 2016, notre orthographe ne pourrait-elle plus, ne devrait-elle plus évoluer ? A-t-elle atteint un si haut degré de perfection ? Dans cette bataille, je pose une seule carte sur la table : celle de l’humilité.

mfMarie-France Claerebout
Relectrice et formatrice

À propos des recommandations de 1990, j’aurais peu à dire en qualité de correctrice. Je m’en tiens aux positions des éditeurs, qui, quoi qu’il en soit, ne peuvent décemment aller plus vite que le dictionnaire.

Comme formatrice, j’ai assez peu l’occasion d’évoquer les modifications recommandées, même auprès de ceux qui réclament une simplification de l’orthographe. Une tendance naturelle étant d’habiller la voyelle finale des mots courts (un feux, un délais), je doute qu’il soit plus simple d’écrire « relai » que « relais ».

Quant aux accents, que l’on puisse aller « à la crèmerie en sortant de chez le médecin » plutôt qu’« à la crémerie en sortant de chez le médecin » n’avance guère ceux qui réclament plus de logique.

Et comment pourrais-je encourager la graphie « vingt-et-un », au mépris de ce pauvre « et » ? Pour bien écrire, apprenons avant tout à connaître les mots, leur nature, leur rôle… et leur vécu. Car heureusement la langue est vivante, elle évolue constamment. Mais certes pas par décret.

Aurore_expertsAurore Ponsonnet
Ancienne orthophoniste, formatrice et auteur

Je suis favorable à l’évolution de la langue. Si la langue n’avait jamais évolué, nous parlerions encore le vieux « françois ». Je trouve mille fois plus important de s’intéresser au sens, à la transmission de l’information, que de s’accrocher à l’orthographe désuète.

Certains accents circonflexes sont nécessaires pour différencier deux mots (sur / sûr), ceux-ci ne vont pas disparaître?! Comment expliquer à des personnes en difficulté les différences de prononciation de certaines graphies identiques (oignon / moignon?; événement / avènement, clef / nef) et aussi l’orthographe illogique de certains mots (combattant / combatif?; imbécile / imbécillité) ?

Modernisons et donnons le goût de la langue, de la grammaire et de l’orthographe (qui suit des règles logiques) aux jeunes Français pour ne pas s’adresser qu’aux élites qui maîtrisent les exceptions, eux, car ils ont la chance d’avoir une bonne mémoire orthographique (car je considère que c’est une chance).

evelyneÉvelyne Vernisse
Formatrice en communication écrite

Imaginez-vous la souffrance des adultes en difficulté avec l’orthographe depuis leur enfance ? Il n’est pas rare qu’en me racontant leur parcours, ces humains-là fondent en larmes, rongés par la honte, empêchés d’évoluer professionnellement, socialement, à cause justement de leur orthographe fantaisiste. Pourtant, ils veulent tellement s’en sortir. Savez-vous à quel point ils désirent comprendre la langue, savoir eux aussi l’utiliser ? Alors, oui, pour eux, je ne suis pas opposée à cette réforme qui gomme quelques anomalies. Évènement, relai, n’est-ce pas plus logique ainsi ? Et je suis tellement soulagée de ne plus avoir à leur asséner la règle des verbes en -eler et -eter. Ainsi pourront-ils consacrer tous leurs efforts – et mesurez-vous combien il leur en faut ? – à apprendre à s’autocorriger quand ils écrivent : « il vous devez des explication ». Alors, oui, je regrette la disparition de l’accent circonflexe, je reste perplexe devant nénufar et ognon, mais tant que l’école ne saura pas enseigner l’orthographe à TOUS les enfants, je suis globalement favorable à cette réforme.

agnesAgnès Colomb
Auteur-adaptateur

Je fais partie de ceux qui ont une réaction de rejet épidermique en voyant écrit « maitresse » sans accent circonflexe – cela me fait peu ou prou l’effet d’un crissement d’ongles sur un tableau noir. Et quand mon fils de huit ans me demande pourquoi il y a un accent circonflexe à ce mot, je suis heureuse de pouvoir lui répondre. La langue est un être vivant, et pour qu’elle ne se dessèche pas, elle a besoin de ses racines. On doit pouvoir voir dans les mots les traces de leur histoire.

Néanmoins, lorsque je vois des amis bataillant avec l’orthographe, et chez qui cela engendre une vraie souffrance, comment puis-je ne pas comprendre leurs arguments en faveur d’une simplification de la langue ? Comment ne pas entendre qu’ils nous voient, nous, les défenseurs de la langue, comme des privilégiés ?

Mais est-ce la bonne voie que de proposer deux orthographes pour un même mot ? Il me semble plutôt qu’on risque ainsi de plonger dans la confusion ceux qui apprennent.

Le français, certes, se réinvente sans cesse, mais l’accouchement toujours répété de notre langue doit être naturel, et ne pas se faire au forceps. Si les changements entrés dans l’usage doivent être entérinés, ce n’est pas encore le cas de la « maitresse » sans chapeau.

portrait-expert-pvPascal Hostachy
Cofondateur du Projet Voltaire

La vocation du Projet Voltaire n’est pas d’édicter les règles, mais de permettre à celles et ceux qui souhaitent s’y conformer de le faire avec efficacité et sans douleur. Ceci n’empêche pas chaque membre du comité d’experts du Projet Voltaire d’avoir un avis sur la nouvelle orthographe de 1990. Je ne suis pas expert (810 au Certificat Voltaire), mais animateur de ce comité.

En tant que francophone, j’ai un avis sur ce qui est appelé improprement « réforme » de l’orthographe. Elle est loin des caricatures qui en sont faites (une wa, l’orthografe, disparition totale de l’accent circonflexe, une simplification outrancière de notre belle langue…). En réalité, le champ d’action de cette nouvelle orthographe est très réduit, et il a vocation à éliminer quelques absurdités. En ce sens, je la trouve pertinente.

Il me semble que les personnes qui nous expliquent que cette nouvelle orthographe est scandaleuse et dangereuse exagèrent, et que les personnes qui prétendent qu’elle va permettre aux jeunes générations de mieux appréhender la langue française se leurrent.

Vous êtes utilisateur du Projet Voltaire et/ou candidat au Certificat Voltaire ? Découvrez notre foire aux questions sur la « réforme » de l’orthographe.

Propos recueillis par Sandrine Campese

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« une wa, l’orthografe, disparition totale de l’accent circonflexe, une simplification outrancière de notre belle langue… »

Hélas, trois fois hélas, monsieur Hostachy !
Ces simplifications excessives sont bien celles dont certains et certaines rêvent tout haut.

Là où le bât blesse, c’est que ces gens s’imaginent résoudre le problème du niveau actuellement affligeant de maîtrise du français en l’abaissant encore plus, en brûlant ce qu’ils appellent des « règles désuètes ».

Je rejoins votre collègue, madame Campese, dans son attachement à l’humilité.
Mais que des personnes assènent des erreurs pour les ériger en règle,
n’est-ce justement pas un cruel manque d’humilité de leur part ?

Ceux qui nomment «révisionniste» la volonté d’alléger la langue de ses diacritiques surnuméraires doivent pâlir d’effroi en lisant Chrétien de Troyes: «La nuit en une praerie, / Lez une forest sont logié. / Au matin ot molt bien neigé, / Que froide estoit molt la contree.» Sans parler de tous les mots en -ere où l’accent grave, superflu, n’apparait pas…
De révision, il est effectivement besoin, et si l’on se languit de l’accent circonflexe (certainement pas supprimé comme d’aucuns osent le prétendre), l’on pourrait adapter la proposition de Nina Catach de ne garder qu’un seul type d’accent, le circonflexe donc, au lieu de l’accent plat (aussi appelé «macron», terme connoté) qu’elle suggérait.
Les exceptions françaises en typographie, également, posent plus de problèmes qu’elles en (sans négation contradictoire…) résolvent: ainsi l’espace (normalement insécable, laquelle est impossible à réaliser au moyen d’un clavier conventionnel) qui renvoie trop souvent les malheureuses doubles ponctuations en début de ligne. L’informatique, qui accueille désormais l’essentiel de la langue écrite, doit être prise en compte, et si l’anglais domine ce domaine comme tant d’autres, c’est aussi parce que l’encodage de l’alphabet latin de base, sans coquetteries baroques, est plus aisément réalisable et ne donne pas lieu à des aberrations lors d’un changement de format ou du passage d’un système d’exploitation à un autre. L’anglais, d’ailleurs, a connu de telles rectifications (celles proposées par Noah Webster par exemple), qui ont abouti aux différences observables aujourd’hui entre l’anglais britannique et l’anglais américain.
Et pour rappel, une langue qui n’évolue plus, c’est une langue morte (ou à l’agonie bien entamée, faut-il évoquer le cas du latin?).

      Le respect est la chose la plus importante pour moi . Veuillez m’excuser si je vous ai froissée, cela n’était pas mon intention. Nous pouvons avoir des avis différents, sans nous quereller . C’est cela, la Démocratie……!

Bonjour. Mes parents n’avaient que le certificat d’études des années 40. Ils écrivaient pratiquement sans faute et m’ont donné le goût de l’écriture. Mes deux frères, eux, font de nombreuses erreurs. Je pense que les maîtres et professeurs se désintéressant de leur tâche depuis trop longtemps l’acquisition des connaissances est réduite au bon vouloir de chacun. En cinquante ans le niveau moyen s’est progressivement détérioré au point que je ne suis pas certaine que les auditeurs comprennent tout ce qu’on leur dit. Certes il y a des détails que l’on pourrait modifier, mais avant tout je crois nécessaire de rétablir le caractère obligatoire de l’apprentissage de la langue, quel qu’en soit le pays.
Agir comme il est préconisé reviendra, je pense, avec le temps, à réduire l’ensemble des classes moyennes à une médiocrité verbale creusant l’écart avec l’élite au lieu de le réduire, ce qui était le but de l’éducation pour tous telle qu’elle fut imaginée par nos valeureux ancêtres. C’est pourquoi je pense qu’avant tout, avant de défigurer les mots, il faut rendre sa place au français et l’enseigner correctement… Ensuite ils ne devraient plus poser de problèmes.

En voulant simplifier la langue française, les incultes pensent qu’elle sera accessible au plus grand nombre. Erreur . Cela va compliquer la vie de ceux qui aiment la langue française, avec toutes ses subtilités . L’évolution de l’humanité serait elle arrivée à son sommet, car tout est tiré vers la décadence. Tous ces gens qui grouillent et vivent de notre argent, prennent aussi toutes les décisions à notre place et nous imposent tant d’absurdités !!! À qui la faute……?????

    Bonjour, je comprends votre coup de gueule, mais peut-on sérieusement penser que les membres du Conseil supérieur de la langue française qui ont élaboré la « réforme », tous d’éminents linguistes, grammairiens, professeurs, éditeurs de dictionnaires, sont des incultes qui n’aiment pas la langue française ?

      Non, bien sûr, mais j’avoue ne pas comprendre la démarche ! Certes, et heureusement, la langue française s’est affinée avec le temps. Mais, sincèrement, pensez-vous qu’à vouloir l’améliorer encore et encore, nous puissions arriver à en retirer une quelconque substance lumineuse????????????

        Tant qu’elle est « améliorable » après tout, pourquoi pas ! La réforme propose notamment de corriger quelques anomalies orthographiques non justifiées par l’étymologie. Ce souci de clarté et de simplicité était celui des grands grammairiens français. En ce sens, je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose. Mais ce n’est que mon avis, vous avez le droit de ne pas être d’accord !

        Il ne faut pas être naïf………Tout ce qui a construit notre pays pendant plus de 700 ans est détruit par les crapules qui nous dirigent depuis la Révolution……..La langue française a connue son apogée avec Ronsard et du Bellay……a cette époque, on parlait français à la cours britannique….aujourd’hui, la langue anglo-saxonne prit le dessus….

          Désolée de vous contredire, cher anonyme, mais la langue française n’a pas connu son apogée avec Du Bellay et Ronsard qui piochaient allègrement dans les langues anciennes (latine et grecque) et étrangères (italien surtout) et formaient quantité de mots nouveaux par provignement. Il a fallu attendre Malherbe pour que notre vieille langue gallo-romaine puise dans ses richesses originelles et gagne ses lettres de noblesse. Bonne journée.

Pour ma part, je suis bien ennuyée ! J’applique la nouvelle orthographe depuis 8 ans maintenant parce que les modifications me semblent logiques et font preuve de bon sens (mon métier et mes activités annexes me font rédiger nombre courriers, comptes rendus et modes d’emplois épais) et ces milliers de pages ne m’ont valu, jusqu’à présent, aucun commentaire : jamais personne n’a relevé « contremaitre », « encours », « boite à lettres », « weekend », « règlement », « il paraitrait », « interpeler », « je les ai laissé faire », etc.

Maintenant que l’information est passée à la télé (j’imagine que c’est ce qui a été le déclencheur de cette soudaine polémique), je crains devoir soit m’expliquer, soit reprendre les anciennes graphies pour ne pas perturber mes prestataires.

Quoiqu’il en soit, il reste bien suffisamment de pièges pour maintenir une « élite » hors de la masse, celle qui se permet de prendre de haut les « incultes » en refusant toute idée de simplification aussi petite qu’elle soit pour conserver leur prétendue supériorité.

    À force de simplifier, on appauvrit.

    La solution au manque de maîtrise de la langue française, à la baisse écœurante du niveau en orthographe, ce n’est pas d’abaisser le niveau d’exigence :
    à force de bêtises comme cette réforme, on ne nourrit pas la langue française (ni aucune autre), on la fait mourir !

    La solution, c’est de mieux entraîner, de renforcer, de mieux apprendre à maîtriser des règles complexes, mais qui justement rendent cette langue, la nôtre, si intéressante, à même d’exprimer les choses avec mille nuances.

    Cette prétention écœurante des « réformateurs » et « modernistes » me fait penser à la Révolution Russe : une avant-garde se disant éclairée se révolte contre l’élite, et la remplace par une autre.
    Quelques décennies plus tard, le constat d’échec est aussi flagrant que navrant.