Le mot juste : illettré ou analphabète ?

Le 17 septembre 2014, sur Europe 1, le nouveau ministre de l’Économie Emmanuel Macron a qualifié les ouvrières de l’abattoir de Gad d’ « illettrées ». Insulte pour certains, réalité pour d’autres, le mot a suscité une telle polémique que le ministre a fini par s’excuser de l’avoir employé. L’occasion de faire le point sur la signification d’« illettré » en lien avec « analphabète », avec lequel il est souvent confondu.

Des étymologies bien distinctesLettres

Comme souvent pour saisir avec exactitude le sens d’un mot, un petit détour par l’étymologie est vivement recommandé !

On apprend notamment que les deux mots sont apparus au XVIe siècle, celui de Joachim du Bellay, marqué par un foisonnement linguistique sans précédent. Si « illettré » nous vient du latin illiteratus, « analphabète » a pour racine grecque analphabêtos.

De parfaits synonymes ?

Les origines respectives d’« illettré » et d’« analphabète » nous éclairent immédiatement sur leur sens. Commençons par décomposer « analphabète » en « an-alpha-bête ». On reconnaît bien le préfixe privatif a- (sous la forme an-, car placé devant une voyelle), et les deux premières lettres grecques alpha et bêta. Littéralement donc, un analphabète « ne sait ni alpha ni bêta », c’est-à-dire « ni A ni B ». Et si l’on ignore les deux premières lettres de l’alphabet, alors foncièrement, on ne peut ni lire ni écrire…

À présent, intéressons-nous à « illettré », qui est composé du préfixe privatif in- (devenu il- devant « l ») et de « lettré ». À l’origine, on qualifiait de « lettré » celui qui étudiait les lettres, c’est-à-dire les livres. Par conséquent, l’illettré méconnaissait la littérature, et, par extension, n’était pas cultivé. Avec le temps, ce sens s’est affaibli, et « illettré » a fini par signifier « qui ne sait ni lire ni écrire », devenant un parfait synonyme d’« analphabète » !

Une nuance à ne pas négliger

Si aujourd’hui « analphabète » et « illettré » sont employés presque indifféremment, il existe entre eux une nuance de sens qui peut tout changer ! Jugez plutôt.

L’analphabète n’a pas appris à lire et à écrire dans sa langue, pour la simple raison que, bien souvent, il n’est pas allé à l’école.

L’illettré, lui, a été scolarisé mais cet apprentissage n’a pas conduit à la maîtrise de la lecture et de l’écriture ou bien cette maîtrise a été perdue. Il éprouve donc de grandes difficultés à lire et à écrire. Plus précisément, l’illettrisme se mesure par l’incapacité d’un individu à déchiffrer un texte de plus de six lignes et à en tirer les informations dont il a besoin.

Le bon choix

En conclusion, il faut être prudent lorsqu’on emploie l’un ou l’autre de ces termes, car ils correspondent à des réalités sociologiquement différentes qui ne sauraient être traitées de la même manière. Ainsi, s’il souhaitait qualifier des personnes qui ont été scolarisées mais dont le niveau de lecture ou d’écriture, trop faible, risque de poser des problèmes pour (re)trouver un emploi, alors le ministre de l’Économie a utilisé le bon mot. Le reste appartient à la politique, et non à la linguistique.

Sandrine Campese

Lisez aussi sur le blog :

Articles liés

Bonjour,

Je reviens à la définition de « illettré »: … »cette maitrise a été perdue ». Bizarre. Comment perd-on cette maitrise? Mon arrière grand-mère paysanne qui n’a fait que le primaire n’a jamais perdu cette maitrise, ni plus ni moins que ses contemporain(e)s. Une explication à cette drole de définition? Merci d’avance, Camille

Le niveau de langage est parfois tel qu’il provoque ce genre de « crise ». Dans mon lycée une prof (classe de seconde) a dit à son élève récalcitrant:  » ça suffit, maintenant obtempère » , celui ci prenant la classe à témoin lui répondit  » putain y’m’ traite: nique ta mère »…

Au delà du simple apprentissage des mots, intéressons nos enfants, les élèves à l’histoire et l’étymologie de ces mots ; ce peut être très ludique, c’est une façon de les retenir plus facilement mais également de comprendre d’autres mots de même racine. Les Français pourraient également se rendre compte que, si nous utilisons beaucoup trop de mots anglo-américains récents inutiles ou qui ont leurs pendants dans notre langue, la langue anglaise contient énormément beaucoup de mots issus du vieux français ou qui ont racines similaires. Faisons utiliser les dictionnaires , suscitons la curiosité, éduquons en jouant ainsi la mémorisation et l’utilisation en seront facilité et la France n’en aura que moins d’illettrés. 😉
Its a great target ! (target venant du mot targe de l’ancien français, pièce de l’armure en forme d’écu qui était visée lors des joutes, qui, en anglais, signifie cible, objectif)

    Bonsoir François, nous en sommes également convaincus : l’étymologie est très utile pour saisir à la fois l’orthographe et le sens des mots. Un billet sur ce thème est d’ailleurs prévu. Je retiens votre idée de dresser un petit inventaire des mots anglais qui sont empruntés au (vieux) français. À bientôt !