Méprisance, bravitude… les néologismes politiques (2/2)

Qu’est-ce qu’un néologisme ? Un mot nouveau, mais pas seulement : ce peut être aussi un mot existant affecté d’un sens nouveau. Le néologisme est alors ressenti comme tel, il est subjectif. Or, en la matière, nos politiques ont fait preuve de plus ou moins d’audace. Alors que trois présidents (Charles de Gaulle, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy) se sont contentés de « recycler » des mots désuets, Ségolène Royal a inventé de toutes pièces un concept qui a fait couler beaucoup d’encre (et pas que de Chine !).

Sarkozy : le mot ne suffit pas

Le néologisme sarkozien emprunte au néologisme gaullien son caractère dénonciateur. En revanche, il semble davantage relever de la maladresse que de l’invention intentionnelle. Le 27 mars 2012, le président-candidat est en meeting à Nantes. Devant une foule de militants, il déclare : « Je veux apporter des réponses. Oh, des réponses qu’on ne comprendra pas dans un certain nombre de cercles dirigeants. Des réponses qu’on va regarder avec cette… méprisance, cette attitude hautaine… »

L’utilisation du mot méprisance entraîne des réactions en cascades sur les réseaux sociaux. Et pour cause : il est inconnu au bataillon. Une enquête est ouverte au terme de laquelle on apprend que le mot date du XIVe siècle, et qu’il n’est pas vraiment synonyme de « mépris ». En effet, la mesprisance en ancien français qualifiait plutôt « l’état d’une personne ou d’une chose en situation d’oubli ou de solitude ». Pourtant c’est bien de mépris que parle Sarkozy : il l’explicite en lui juxtaposant « attitude hautaine ». Alors pourquoi ne pas avoir utilisé ce mot, simple, de deux syllabes ? Peut-être pour caractériser un état constant plutôt qu’un comportement circonstanciel, avec un effet emphatique et dramatique. C’est un peu la même chose avec le mot « désespérance », qui a le même sens que « désespoir », mais qui serait « plus littéraire, plus abstrait et plus négatif, à propos d’une personne qui n’a aucune espérance ». À moins qu’il ait inconsciemment entremêlé « mépris » et « médisance », aux sens proches, pour donner le mot-valise méprisance !

Un barbarisme Royal

Après le néologisme qui fait pschitt, place au barbarisme. Quelle différence ? Un barbarisme, du latin barbarismus, « expression vicieuse », est un néologisme non lexicalisé, c’est-à-dire qu’il n’entre pas dans le langage du plus grand nombre, ni dans le dictionnaire. La méprisance de Nicolas Sarkozy existait déjà (c’est sa réhabilitation soudaine dans un contexte moderne qui a été incomprise), alors que la « bravitude » est sortie tout droit de l’imagination de Ségolène Royal.

Revenons en ce jour ensoleillé mais froid du 7 janvier 2007. Ségolène Royal, en pleine campagne présidentielle, est en visite sur la grande muraille de Chine. Encapuchonnée dans sa doudoune blanche, le nez rouge, elle déclare : « Comme le disent les Chinois : qui n’est pas venu sur la Grande Muraille n’est pas un brave, et qui vient sur la Grande Muraille conquiert la bravitude ». Si la première partie de la phrase correspond à un proverbe chinois, la suite, en revanche, pose un problème linguistique. Tollé dans les médias, buzz sur les réseaux sociaux, pendant que la droite s’en donne à cœur joie, chacun se demande « Qu’est-ce que la bravitude ? ». Jack Lang, qui paraît-il aurait aimé inventer ce beau mot (!), propose « plénitude d’un sentiment de bravoure ». C’est cette définition qu’a retenue l’encyclopédie participative Wikipédia.

Sandrine Campese

Photo : La grande muraille de Chine

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