Précision, prévenance, coprésence : les singularités de la langue française

Jeudi 19 mai, je me suisborer rendue à Nantes pour écouter le poète et essayiste Alain Borer, auteur du livre De quel amour blessée. Réflexions sur la langue française, que je conseille vivement aux lecteurs du Projet Voltaire. Voici un compte rendu de cette conférence passionnante, qui donne envie de défendre notre belle langue française. Première partie : ses singularités.

Précision

La langue française se caractérise par sa précision, que l’auteur nomme acribie. Pour illustrer son propos, il cite un extrait d’une résolution de l’ONU rédigée en anglais : « evacuation from occupied territories ». S’agit-il de l’évacuation de territoires occupés ou des territoires occupés ? De même, comment écrire la phrase suivante : « Le peu d’eau que j’ai bu/bue m’a désaltéré/e » ? Les terminaisons que nous choisissons permettent de mettre au clair notre pensée.

Fort de son acribie, le français est devenu la langue de la littérature. Ce n’est pas un hasard si de nombreux écrivains étrangers ont délaissé leur langue maternelle au profit de la langue de Voltaire : le Roumain Emil Cioran, l’Irlandais Samuel Beckett, le Tchèque Milan Kundera, l’Espagnol Jorge Semprun, le Libanais Amin Maalouf, etc.

Prévenance

Au VIIIe siècle, le français prend une orientation décisive en refusant la synchise (propositions dans le désordre) du latin. On décide que le verbe sera placé juste après le sujet. Logique, dites-vous ? Pourtant, en allemand, le verbe apparaît tout au bout de la phrase. Le français tient l’interlocuteur en haute estime, en lui permettant de saisir rapidement le sens du propos et d’interrompre la phrase sans en attendre la fin. En ce sens, notre langue est démocratique : elle invite à la discussion !

Mais ce n’est pas tout ! « L’anglais sent fort l’» (l’ail !), s’amuse Alain Borer. Omniprésent dans la langue de Shakespeare (surtout chez Woody Allen), le sujet I (le « je » anglais) est systématiquement détaché de son verbe. Cette impression de solitude ne se retrouve pas en français, où le « je » peut se fondre dans le verbe pour donner « j’aime ».

Coprésence

Pour marquer le féminin, l’anglais a fait le choix de la neutralité. Par exemple, l’adjectif beautiful qualifie aussi bien un homme qu’une femme. Les Anglais répondront qu’ils n’ont pas besoin de distinguer avec la langue ce que l’œil perçoit. Ce choix est une illustration du pragmatisme anglais, qui pousse à dire you « à la reine d’Angleterre comme à son cocher ».

À l’inverse, les langues romanes accentuent la distinction de genre en attribuant un « a » au féminin et un « o » au masculin (exemple : bello/bella en italien). Le français a choisi une troisième voie : celle du « e » muet, qui met l’homme et la femme en situation de « coprésence ». Ainsi « blessé » devient féminin (mais garde sa part de masculin) dans cette citation de Racine : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée… »

Forte de ces atouts, conclut l’auteur, la langue française « recommence le monde » pour chaque interlocuteur. C’est la seule à pratiquer « l’autruisme », le souci constant de l’autre.

Sandrine Campese

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Bonjour Sandrine,

C’est un vrai régal de vous lire . Merci

Quant aux fraises que j’ai mangées, j’opte spontanément pour la deuxième proposition .

Enfin, il me semble que faire une balade dans la nature peut réveiller l’envie de déclamer quelque ballade .
Cordialement.

Monique Pierre

    Bonjour Monique, un grand merci pour votre message qui me fait très plaisir. J’espère que cet article vous aura donné envie de découvrir le livre d’Alain Borer. Concernant les règles d’orthographe qui apparaissaient en suggestion, vous avez tout bon ! Bel après-midi et à bientôt.